« On va là d’où l’on vient »

photo, thibaut fuks, Maelle Gross

 

 

 

Une déambulation performative conçue par l’artiste Maëlle Gross

dans le cadre du festival Antigel 2018 à Genève

 

 

Je ne savais pas vraiment à quoi m’attendre en me rendant à la performance déambulatoire proposée par la jeune artiste Maëlle Gross dans le cadre du festival Antigel, en ce mois de février 2018 à Genève. Une proposition en lien avec un quartier populaire de la ville, les Pâquis, et dans la continuité d’une recherche artistique qui s’inquiète des questions d’interactions sociales, de migration, de rencontres et de communication. Une exposition de fragiles pièces disséminées au sein des multiples facettes de ce quartier, entre la gare et le lac, accrochages précaires qui se fondent dans le tissu de la ville et ses mouvements.

 

C’est d’abord un accueil chaleureux dans le point de ralliement où Marie Jolliet, la coordinatrice du projet, donne une brève introduction sur les fondements de cette proposition de l’artiste genevoise d’origine grecque qui donne ici suite à son projet collaboratif « On va là d’où l’on vient », initié à Athènes il y a 18 mois. On me remet un casque audio dont la création sonore rythmera tout mon parcours. Puis je comprends que c’est une guide personnelle qui m’ouvrira la marche, tout comme pour chacun des participant-e-s se présentant pour l’expérience qui est donc individuelle. C’est ainsi qu’on enjambe le pas d’un mystérieux guide silencieux avec qui la communication sera réduite au minimum jusqu’à la fin du parcours de 50 minutes.

L’effet produit par ce format atypique est immédiatement saisissant. On se retrouve instantanément plongé dans une autre dimension, toute irréelle et pourtant ancrée au cœur du quotidien de ce quartier bien connu. La situation inhabituelle de filer un dos inconnu à travers ces rues, appliquée à ne pas perdre de vue sa silhouette et à caler mon rythme sur le sien, tout en étant plongée dans la création sonore diffusée dans mon casque, fait décoller cette promenade vers les sphères d’une visite hallucinée où l’on redécouvre ces lieux tel un spectre flâneur. Chaque passant qui croise notre route, chaque micro-événement ayant lieu à tel ou tel recoin de rues paraissent autant de mises en scène et d’acteurs possibles, finement dirigés pour feindre le quotidien et le spontané… Dans les pas d’un Robert Filliou, ici on peut clairement affirmer que « l’Art est ce qui rend la vie plus intéressante que l’Art ».

 

La marche se ponctue par quelques arrêts en des points clefs du cheminement réflexif et poétique de cette pièce où se croisent les regards de différents habitants du quartier. En collaboration avec le musicien Simon Acevedo, l’artiste compose un univers sonore où elle réinterprète les mots recueillis lors de ses recherches et rencontres sur place : fragments de réflexions multiples se mélangeant à une matière musicale continue, évoquant les questions d’identité et d’altérité, les contradictions et les métamorphoses d’un milieu urbain, cosmopolite et changeant. Cet enveloppant flot de pensées à la fois individuelles et collectives qui se répondent ou se contredisent accompagne nos mouvements et nos regards de spectateur-acteur-marcheur.

A quelques minutes seulement des rues de vitrines de prostituées, on marque notamment une longue pause devant l’entrée d’un non moins fameux grand hôtel de luxe de la ville, nous faisant intensément ressentir les dissonances au cœur du quartier. Plus loin, on aborde la jetée des Bains des Pâquis où quelques fragiles impressions photographiques de l’artiste ont été disséminées, puis on pénètre l’appartement d’un voisin de quartier complice. Ainsi, c’est dans la télévision du salon d’un habitant du quartier ou sur les écrans de boutiques avoisinantes que l’on découvre quelques œuvres vidéo de Maëlle Gross, en parfaite fusion avec la trame de la ville qui lui est chère. La sélection et l’accrochage de ces fragiles œuvres volontairement arrachées à leur confortable contexte d’exposition conventionnel en « white cube » a été faite en collaboration avec les commissaires Olivia Fahmy et Eleni Riga.

 

Arrivée à la fin de ce parcours qui nous ramène au QG de la performance, ma mutique guide se tourne finalement vers moi pour ouvrir le dialogue sur cette expérience embarquée. Le moment d’échange arrive pour clore cette proposition remarquable par sa générosité et son engagement. J’ai ensuite la possibilité de rencontrer Maëlle Gross afin qu’elle puisse m’en dire plus sur son travail en général et celui-ci en particulier. Née en Suisse il y a 29 ans, diplômée de la Haute école d’art et de design de Genève et de la Goldsmiths University de Londres en 2015, c’est d’abord lors d’une résidence à Athènes où elle séjourne un an qu’elle développe le premier volet de ce travail. Suite à une exposition personnelle en galerie, l’artiste constate que bien que son travail porte sur les identités multiples du quartier populaire de Kypseli, il n’atteint qu’un public très restreint d’initiés et ne parvient pas à toucher les acteurs même de sa recherche. Elle commence donc à imaginer une forme d’exposition disséminée dans la ville, au plus proche des lieux de vie des habitants du quartier. Elle se lance ainsi dans « Going where we come from » ; une aventure aux dimensions de plus en plus importantes et participatives.

En collaboration avec des anthropologues et avec une des rares associations humanitaires du quartier athénien (La Fourmi), l’artiste va à la rencontre des habitants qu’elle implique aussi bien dans l’écriture de la pièce sonore que dans l’expérience de déambulation qui en découle. Les acteurs sont ainsi les premiers spectateurs-marcheurs de cette pièce qui nait au cœur de la vie du quartier. L’expérience est proposée en quatre langues : grecque, anglais, arabe et français.

Par la suite, le festival Antigel, qui décloisonne si bien les arts et les scènes, l’invite à poursuivre ce projet dans le cadre de sa huitième édition où danse, musique, performance, sport et projets sociaux se côtoient. A Genève, où les coopératives et associations sont présentes en grand nombre, Maëlle Gross s’est donc plus particulièrement rapprochée d’une d’entre elles, « L’Ecole des mamans », qui offre des cours de langue française pendant que les enfants sont à l’école. Pendant deux mois, l’artiste y mène un atelier d’écriture créative qui constituera une partie importante du matériel de la création sonore qui s’élabore en parallèle en studio. A ces voix s’ajoutent les récits recueillis auprès de travailleuses du sexe, d’anthropologues, de prof et de migrants. Une grande partie des dix-huit guides engagés pour mener ces déambulations à Genève est issue d’une association de migrants, « Antidote », leur confiant ainsi la tâche de nous faire découvrir la ville. L’ambition de l’artiste pourrait se résumer en cette phrase qu’elle murmure au creux de nos oreilles en introduction à ce voyage humain et urbain :

« L’individu donnera de l’humanité aux masses »

 

Marion Tampon-Lajarriette, février 2018

 

Evénements à venir de l’artiste Maëlle Gross :

« Queering the Exhibition »

Du 23 mars au 13 avril 2018

Espace Oncurating Project Space, Zürich, CH

Zürich Moves festival for contemporary arts practice in performing arts

https://www.zurichmoves.com/zm-18-queering

 

« MILF plateaux »

Du 17 mai au 10 juin 2018

Exposition proposée par collectif détente

Espace Témoin, Genève

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