Nous ou le chaos au BPS22

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L’exposition “Us or chaos” présentée au BPs22 rassemble une sélection de quarante oeuvres provenant de la collection a/political située à Londres. Cette structure, non seulement achète, mais assure également la production d’oeuvres de nature socio politique.

D’emblée il faut situer le décor. Pour le visiteur pressé “Us or chaos” que l’on peut traduire par “Nous ou le désordre”, pourrait ressembler à une expo de type blockbuster, dressant un hypothétique hit parade des activistes à la mode dans le secteur des arts dits contemporains.  En effet, parfois la scénographie un rien tonitruante avec ses performances vidéos de type extrêmes pourrait y faire allusion, or le propos se situe à un autre niveau. 

Le choix scénographique de la commissaire Becky Haghpanah-Shirwan est conçu en fonction de la disponibilité des espaces à disposition. Le visiteur est accueilli dès l’entrée par une imposante sculpture en marbre de Carrare représentant un policier anti émeute en stature debout. L’index posé délicatement sur ses lèvres, il nous incite à obéir et à rester calme. Cette sculpture imposante joue naturellement le rôle d’indicateur de sens de la visite. Cette pièce provient du collectif Democracia et fait l’objet d’image de référence pour la campagne marketting de l’expo.

Dans la Grande Halle, les oeuvres sont dispersées de manières à former des groupes, parfois de nature contemplatifs, à l’instar des paysages au bic bleu d’Andrei Molodkin qui se composent de dessins cartographiques détaillant une attaque fictive nucléaire américaine sur le sol russe. Une autre pièce à forte connotation symbolique fait référence à l’étoile de David.  L’oeuvre sulfureuse est de Kendell Geers. Si on la regarde de près, on se rend compte qu’elle est constituée d’une multitude de matraques qui fonctionnent comme un trompe-l’oeil. Une manière indirecte de nous prévenir de la nature autoritaire d’un discours religieux axé sur la répression violente. D’après certaines rumeurs, la nature directement référentielle au conflit Israël palestinien aurait empêché la tenue de cette exposition en Allemagne…

Quelques vidéos présentées sous forme de performances archivées fonctionnent comme de véritables électrochocs visuels. La vidéo “I’m not your babe” de Franko B, artiste d’origine milanaise vivant à Londres, documente sa performance à l’ICA de Londres. Cet adepte de l’art corporel utilise son corps comme l’épicentre d’un langage. Entièrement nu, recouvert de peinture blanche, Franko B se sert de son sang comme un rituel incantatoire de purification. Agenouillé devant son public, deux cathéters plantés dans les avant bras laissent s’écouler son sang sur le sol.  Non loin de là, siège le NO monumental de Santiago Sierra. La sculpture fait plus de 2,5 m de haut. Intitulée “NO, GLOBAL TOUR”, elle symbolise avec force le symbole de résistance à toute injonction de pouvoir. Concue comme une sculpture mobile transportable, ce message sera bien sûr différent à l’extérieur de l’Institution. Parquée au centre Ville devant un siège de banque elle peut devenir tout autre chose qu’un objet de contemplation passif. 

Impossible de parler de pouvoir banquier sans s’intéresser au cas particulier de Petr Pavlensky. L’artiste russe vient de passer un an en prison pour avoir bouté le feu à la Banque de France à Paris. Il vient d’être libéré avec l’interdiction formelle de quitter le territoire français dans l’attente de son procès. La vidéo baptisée “Eclairage” et montrée au BPS22, retrace l’historique de cette action. On y voit l’artiste activiste se tenir debout devant la porte d’entrée de la banque après en avoir incendié les fenêtres. Ceinturé par les flammes, face à la camera, l’air déterminé, il attend patiemment que les forces de l’ordre viennent le plaquer au sol et l’arrêter. Pavlensky explique son geste en référence à l’histoire de France : “La Bastille a été détruite par le peuple en révolte, elle représentait le symbole du despotisme et du pouvoir. Aujourd’hui la Banque de France a pris la place de la Bastille et les banquiers ont pris la place des monarques.” Où donc s’arrêtera ce cosaque fou? Lanceur d’alerte d’un autre genre, le dernier film de Michael Moore “Farenheit 11/9” sorti récemment nous convie également à entrer en résistance et réagir par des actions. Ces deux « enragés » font partie de la même famille…

En nous engageant vers la Salle Pierre Dupont, on découvre l’installation imposante d’Andrei Molodkin.  Cette installation d’esprit minimaliste se compose de tubes en verres remplis de pétrole et de hauts tubes au néon qui font référence à de gigantesques transformateurs industriels.  Pour l’artiste c’est une allusion détournée à l’oppression carcérale des cages de tribunaux russes. 

Dans un autre esprit minimaliste, il y a une commande du BPS22 qui sent bon l’esprit de solidarité :David Brognon et Stephanie Rollin, en collaboration avec des anciens ouvriers limogés de Caterpillar, ont créé Résilients. Sous la forme d’un tourniquet géant, l’oeuvre nous fait penser à un rituel de passage. On peut y entrevoir une référence symbolique à la destructuration de l’humain dans l’entreprise.

De la dénonciation à l’action directe, les réactions sont plurielles. Democracia, le collectif Madrilène qui s’est donné comme objectif de décortiquer les mécanismes iconographiques et symboliques du pouvoir, est de nouveau présent dans la salle Pierre Dupont avec 18 portraits de policiers en tenue de travail. Une lecture double est a exercer. De loin, la vision globale de cette installation laisse transparaître le sentiment du pouvoir dans toute sa force brutale de répression, alors que de près, pris isolément, chaque portrait nous renvoie à la nature profondément humaine de chaque policier. Ici aussi il y aura procès que Democracia finira par gagner. 

A l’étage, nous retrouvons Franko B. L’artiste nous présente une autre facette de son art, une sculpture en marbre de Carrare: “sleeping beauty”.  On y voit un jeune adolescent étendu sur le sol, pantalons rabaissés sur ses baskets. Le cartel explicatif nous renseigne que l’oeuvre, sculptée à la main à la façon du Bernin, représente un enfant réfugié mort retrouvé sur une plage.  Sans cet éclaircisement, l’ambiguité provenant de la pose, nous renvoie à d’autres types de dérives … 
Un peu plus loin, dans la pénombre, une installation un peu mystérieuse et esthétique dégage une impression de calme et de sérenité. Teresa Margolles, artiste mexicaine, veut, par la beauté, donner une réponse à son questionnement sur la violence dans son pays.  Plancha est un long morceau de tissu déployé à même le sol, criblé à intervalles réguliers de cercles de lumières concentriques qui sont le résultat de gouttes d’eau tombant du plafond sur des plaques chauffantes. Nous apprenons qu’il s’agit en réalité d’un bandage que l’on utilise dans les morgues de Mexico. Une oeuvre à forte concentration émotive qui rend hommage à toutes les victimes anonymes de cette ville.

En tentant de dresser le relevé des différentes actions de types transgressives (violentes, poétique, minimaliste) a/political nous pousse à nous poser la question de la véritable place de la dimenssion politique dans l’art contemporain aujourd’hui. Cette forme d’art particulière peut-elle être jugée comme une nouvelle esthétique contemporaine, égale à une autre, dont la finalité serait sujette à spéculation? L’utilisation répétées du marbre de Carrare dans certaines productions commanditées n’est elle pas en soi une forme de soumission à un marché de l’art qui aurait comme finalité de changer en marchandises toutes sortes de contestations?  Confrontées directement à la vie, hors musée, ou protégées par les murs de l’institution, quel est le véritable impact de ces différentes perfomances d’artistes? Ce sont, parmi d’autres, les nombreuses questions auquel le spectateur sera confronté tout au long du parcours.

Lino Polegato

US OR CHAOS
collection a/political
Exposition 22.09.2018 – 06.01.2019
ARTISTES : Franko B, David BROGNON & Stéphanie ROLLIN, Erik BULATOV, Petr DAVYDTCHENKO, DEMOCRACIA, Kendell GEERS, Leon GOLUB, Teresa MARGOLLES, Andrei MOLODKIN, Petr PAVLENSKY*, Andres SERRANO, Santiago SIERRA & Nancy SPERO.

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