La nouvelle performance de Marina Abramović visible cet été jusqu’au 25 Août aux Serpentine Galleries à Londres s’inscrit dans la série des Durational Works mais d’une manière légèrement différente des précédentes, laissant à la participation du public une place bien particulière.
Marina Abramović est sans conteste l’une artistes dont le travail a requestionné radicalement la pratique de la performance dans les années 1970. Elle a déshabillé cette pratique de tout artifice et artéfact et y a placé au centre, sa propre présence, voire sa vie. Sa force mentale et physique éprouvées dans ses nombreuses performances n’est pas étrangère au mouvement qui l’a propulsée récemment à une place qu’aucun artiste vivant de sa génération n’a encore pu revendiquer. Une quasi-star, ou une quasi-gourou dans le cas qui nous concerne.
512 Hours est moins spectaculaire que The Artist is Present (Moma, 2010) ou Seven Easy Pieces (Guggenheim, 2005) car la question de la présence de l’artiste est dénuée d’effet spectaculaire ; une présence annoncée sans discontinuité tous les jours de 10 à 18h, six jours par semaine. Venir voir la performance consiste pour le public à passer la durée qui lui convient dans le même espace que Marina Abramović et à être invité, par elle ou par une personne de son staff à faire différents exercices aidant à la méditation : fermer les yeux, rester immobile ou marcher main dans la main, rester assis à une table et compter du riz et des lentilles ou s’allonger sous une couverture sur un lit de camp. Les dispositifs scéniques habituels des Durational Works faisaient le focus sur sa personne et la mettaient en scène performant l’immobilité – du temps pur – ils sont maintenant abandonnés au profit d’une simple co-présence du public et de l’artiste. De son côté, Marina se concentre sur les énergies que ce public dégage ; elle peut entrer en relation avec telle ou telle personne du public, pour l’inviter à faire tels ou tels gestes de son répertoire. La performance tient dans sa capacité à réguler une énergie qui fluctue avec les entrées et sorties des personnes. Chaque jour, en fin de journée, est filmée une courte séquence appelée Diary (journal intime) dans laquelle elle livre son ressentit, de manière quelque peu dramatique, à propos d’un des événements marquant de la journée. En parallèle, des visiteurs sortant s’expriment sur l’expérience individuelle et collective qu’ils viennent de vivre. Vidéos également diffusées sur le site de la Serpentine.
512 Hours entend renvoyer chacun à son énergie interne, à son rapport au groupe et au monde tandis que Marina gère le tout. Mais l’atmosphère trop apprêtée peine à convaincre. Les vidéos (de type confessionnal de télé-réalité pour l’artiste et micro-trottoir pour le public) finissent de discréditer un dispositif dont on sort assailli d’un gros doute. D’un côté, dans les galeries de la Serpentine, est abolie toute distance liée à la représentation d’une action ; le public est immergé et on l’invite à participer de la façon la plus naturelle qui soit à une mise en commun d’un genre nouveau, légèrement new-age. D’un autre côté, cette distance est réinstaurée dans les vidéos qui séparent l’artiste de son public-disciple. Quelle serait la participation (à une performance) d’un public « émancipé » selon le terme de Jacques Rancière ? À Londres cet été, on est quand même assez loin d’une telle acception de la participation ; ce qui semble certain est que le grand public a été émerveillé, ce qui n’est pas la même chose, loin s’en faut.
Fabien Pinaroli
> 25.08.14
Serpentine Galleries
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