MAC/VAL. Cinq femmes du pays de la lune : la plongée dans le collectif de Valérie Jouve

Photogramme de l’exposition « Cinq femmes du pays de la lune » / Valérie Jouve, 2013. Tirage chromogène, 40 x 50 cm. Production MAC/VAL - Musée d’art contemporain du Val-de-Marne, 2014. Photo © Yasmin M. M. Abu Awad.

Phénomène assez rare que le partage en territoire artistique, pourtant au MAC/VAL, quatre femmes palestiniennes, Rana M.S. Abukharabish, Suha Y.M. Abusharar, Yasmin M.M. Abu et Jamila I.M. Thalja ont co-signé l’exposition aux côtés de Valérie Jouve.

Habitant encore aujourd’hui entre Paris et Jéricho où elle loue régulièrement une chambre dans la maison de Jamila I.M. Thalja, Valérie Jouve a orienté ces dernières années les objectifs de sa chambre photographique et de sa caméra vers le cœur du Moyen-Orient. Le road-movie Traversée (2012) ou l’exposition En attente / On Hold au centre Georges Pompidou (2010) ont marqué les étapes de ce changement. C’est ici la ville-oasis de Jéricho, ancien camps de réfugiés et territoire palestinien autonome, et ses alentours qui deviennent le cadre d’un autoportrait collectif par le territoire. Ces femmes, embarquées par son hôte Jamila dans le projet de Valérie Jouve, ont aussi conçu l’exposition avec elle. La maitrise du projet artistique s’en trouve modifiée et le résultat visible au MAC/VAL l’est également, qui témoigne de cette fabrique de l’image à l’œuvre, de l’échange de compétences entre ces femmes autant que d’un dessaisissement de l’artiste au profit du collectif.

Tout tient dans un espace haut de plafond, avec des cimaises qui organisent le parcours quartier par quartier. À la façon d’un commentaire sur un album photo, l’introduction que Valérie Jouve a inscrite propose une réflexion collective sur l’image dans un lieu où la religion interdit l’image. Sur les cimaises l’exposition est faite de nombreuses vues photographiques de petit formats, souvent par séries de trois ou quatre, puis des grands tirages sur les murs. L’univers sonore tient une place importante : des sons d’ambiance et quelques réflexions parlées à haute voix sont diffusés ; de petits séquences vidéos, également, sur des cadres numériques placés au milieu des photos : échanges avec les habitants de Jéricho, vues de la ville, séances de travail collectif lors de la préparation de l’exposition, etc. Tout ce qui est parlé en langue arabe et diffusé ainsi est intégralement traduit en français sur la feuille de salle.

Le parcours nous fait aller du centre de Jéricho aux extérieurs ; souvent, la présence de l’eau – un canal, un ruisseau, la mer morte, élément vital qui structurent ce territoire aride – constitue comme un fil conducteur à cette série de photos constituée en une sorte d’album atypique. Car l’évolution dans la conception même de l’acte photographique et la relation à l’image qu’a permis le projet est tangible. La présence de ces corps de femmes palestiniennes, qui ne sont pas photographiés tout d’abord, le sont ensuite mais ce sont des silhouettes voilées, en train de travailler, de prendre des images, de porter un regard sur leur propre univers. Enfin, ces corps sont photographiés en tant que portrait, corps singuliers, à visages découverts. Celui de Valérie Jouve y compris. À l’entrée sur une seconde cimaise introductive à Cinq femmes au pays de la lune est annoncé que l’exposition relate un projet de photographie d’un territoire devenu, avec le temps, l’expression d’une vision du monde. Vision plurielle, non seulement celle de quatre femmes palestiniennes qui ont fait sauter les stéréotypes les concernant, chacune avec son propre regard qui ne peut se réduire à celui du groupe. Vision complexe et combinée puisque Valérie Jouve est là aussi, en tant qu’artiste ayant permis à ces quatre femme de participer activement, voire de la guider au sein de son propre projet. Elle est là, avec son regard, sa conception de la photographie, et ayant créé une occasion de partage unique et riche. Mais elle joue un rôle particulier au sein de ce collectif : les grandes photos, placées sur le mur du musée, et qui encadrent comme symboliquement les cimaises portant de plus petites images, sont les siennes.

Fabien Pinaroli

 MAC/VAL
> 04.01.2015

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