Il en va des institutions comme des coutumes. Elles connaissent des moments de vogue et d’autres de vague. La pratique de la balle pelote s’étiole en Belgique; le musée de folklore tournaisien secoue la poussière de sa molle quiétude.
Ex-joueur dans l’équipe de Blicquy, Andy Simon s’est mis à arpenter les terrains de balle pelote à travers Wallonie et Flandre pour en ramener 400 clichés témoins. À Tournai, Jacky Legge a ouvert les salles consacrées au folklore de façon à les doper à l’art contemporain. L’un et l’autre témoignent par une démarche d’archivistes.
Ballodromes et photos doc
Accompagnées d’un triple commentaire (fr-nl- en) historique et sociologique de Benoit Goffin à propos de la balle pelote et de sa pratique, les photos d’Andy Simon constatent. Toutes ont été prises en format paysage, avec un angle de prise de vue similaire, une luminosité ambiante assez commune et la systématique absence de toute intrusion humaine directe visible. N’en attestent que les habitations, les véhicules à l’arrêt, les infrastructures routières urbaines et rurales et, très exceptionnellement, une présence animale. Si pittoresque il peut y avoir, il se situe dans l’œil de celui qui examine la photo mais aucunement dans celui qui la prend.
L’ensemble constitue un imposant album documentaire qui s’étale d’Acoz jusqu’à Yvoir via Moha ou Pommoereul. Ce corpus permet quantité d’observations sur l’état des lieux et la vitalité de la pratique de ce lointain descendant du jeu de paume. L’emplacement de l’aire de jeu est central ou excentré selon la localité, c’est-à-dire associé à la vie quotidienne ou relégué là où il ne risque pas d’importuner la circulation automobile. Ses marquages au sol sont inscrits de manière affirmée ou plus ou moins effacés, voire quasi disparus.
Les équipements supplémentaires racontent aussi l’indifférence ou un reste de passion sportive. Cela dépend de la quantité des sièges offerts aux supporters, du nombre de panneaux publicitaires des mécènes commerçants locaux, de l’utilité ou non d’un marquoir affichant les scores des matches, de la proximité ou de l’absence d’une buvette…
La photographie, ici, transmet des infos. Elle ne se targue pas de provoquer des émotions ou des sentiments. Elle enregistre. À qui la regarde de tirer les conclusions qui en découlent. L’esthétique s’est faite discrète au profit de l’inventaire. Celui qu’on établit avant transformation ou disparition.
Quotidien d’antan et art contemporain
Tournai a longtemps vécu dans la torpeur tranquille de musées confiés à des bénévoles. Ceux-ci pouvaient être passionnés mais démunis de vrais budgets ; ils bricolaient parfois des expos temporaires, proposaient l’un ou l’autre achat exceptionnel. Certains se repliaient sur des recherches personnelles. Ce temps-là semble bien être révolu.
Le musée d’histoire naturelle fut sans doute le premier à secouer la somnolence. Celui des beaux-arts fit quelques tentatives épisodiques et disposera bientôt d’une extension indispensable à la poursuite de ses initiatives. Le TAMAT, plus jeune, pratiquait d’office un roulement continu d’expos liées au textile. Voici qu’un des plus repliés sur sa richesse intérieure vient de suivre son conservateur provisioire, féru d’art contemporain de par sa fonction première de responsable des arts plastiques de la Maison de la Culture, qui est parvenu instaurer une collaboration quasi permanente avec les artistes locaux, particulièrement ceux des jeunes créateurs et des deux écoles d’art du coin.
Un catalogue vient d’esquisser un inventaire des innovations suscitées par Jacky Legge dans une institution rebaptisée Musée de Folklore et des Imaginaires (MuFIm). Si son rôle demeure de témoigner des éléments ethnographiques historiques de la vie quotidienne, elle y ajoute désormais un rapport appuyé avec le présent. Une façon de profiter du passé pour esquisser un avenir créatif, d’associer pérennité et inventivité, de tisser des liens entre hier et maintenant, de comparer des pratiques d’autrefois et des audaces actuelles, d’inciter les visiteurs à relier entre elles époques et thématiques.
En voisinage, on trouve représentations et transformations, traditions et nouveautés. D’une part, des éléments folkloriques transposés selon différentes techniques artistiques consacrées. D’autre part des détournements ou métamorphoses ainsi que des inédits inspirés par les collections du musée ou carrément confrontés à eux. Le catalogue est copieux. Il rend hommage aux donateurs via photos et commentaires (parfois quelque peu hétéroclites) à propos de chaque créateur ayant associé sa pratique artistique avec le patrimoine.
« Réparateur urbain », Manu Bayon opère ici et là avec ses interventions rouges caractéristiques, mettant l’humour au service d’une réflexion sur les problèmes de l’espace public. Le vidéaste Laurent Quillet interroge, avec deux écrivaines tournaisiennes, Michèle Vilet et Françoise Lison, les sonorités de la cité. Poppe, Stalpart et Pellizzola revisitent les couronnes mortuaires. Pascale Loiseau donne au fil inox sa traduction de licière.
Priscilla Beccari inscrit ses dessins aigre-doux. Jean-Claude Brichart et Jean-Pierre Delvigne gravent des paysages familiers de ville et de campagne tandis que René Huin ou Renelde Herbeval ainsi que Roger Dudant les rendent insolites et que Daniel Locus et Mario Ferretti y ajoutent un imaginaire photographique. Quant à Gordon War, il concilie mouvement et immobilité par sa péniche attachée, métaphore de ce musée rénové. Autre métaphore mais cette fois de foi en la vie, celle d’Alain Winance présentant un biberon de nourrisson. Bruno Gérard, amusé au musée, s’est souvenu des copions du temps de son école primaire.
L’art brut s’invite avec Brunswick et Goetzmann. Il flirte avec Lionel Vinche. Il se personnalise avec George Warnant et ses créatures étranges. Il fait allusion aux naïfs avec Michel Provost ou Henri Quintin. Un castelet du sculpteur Bulteel honore les marionnettes traditionnelles à tringle.
Observateur de proximité, Vincen Beeckman se penche vers les habitants du quartier surnommé du « Maroc » et Benoit Dochy sur le carnaval tournaisien. Bruno Bosilo va en reportage dans une brasserie artisanale locale. Olivier Roman, parodie les portraits d’autrefois. Ceux d’Anne-Sophie Costenoble ont la mélancolie d’un passé déjà loin. Ceux conçus par Patrick Corillon le sont au moyen du tissage des cheveux de défunts familiaux. Ils font écho à la mort mise en image par Nathalie Amand.
C’est la communication qu’interrogent les clichés tirés par Kasper Demeulemeester.Bénédicte Fontaine surprend de façon insolite un enfant aux toilettes. De son côté, Gérimont saisit des gros plans d’une partie du « jeu de fer » typiquement régional. Marlier, Noël, Midavaine, Robertson et Leriche illustrent lieux ou moments.
Comme Duchamp, Thomas Boucart transforme les urinoirs en pièces de musée. De son côté, Annette Masquilier transporte une valisette dans l’intemporel. Sofhie Mavroudis a déposé ses tragiques hirondelles abattues par la pollution. Dufouleur consigne sur papier les étals de marchands ambulants.
La porcelaine de Tournai a une importance muséale telle qu’elle ne pouvait être négligée. Dany Fanino l’a parodiée de manière baroque. Fred Degand et Mathilde Dei Cas ont agrémenté les assiettes de motifs inspirés des technologies modernes du bâtiment. Huon les intègre dans l’Europe. Legge transforme leur décor par des collages de timbres voués à des personnalités.
Côté littérature populaire, Jannick Denis transpose en maquettes des chapitres des romans dont Bob Morane est le héros. On y adjoindra la « Bibliothèque » miniature agencée par Anne Garnier. À associer avec le « Manège » réinventé par Isabelle Jeudy à partir d’objets récupérés ainsi qu’aux marionnettes « Hommage à la mort » d’Alan Tex.
La panoplie est variée. Elle synthétise un renouveau dynamique. Elle convoque une manière plus interactive d’accueillir les visiteurs de musées qui éprouvent davantage besoin de se relier à leurs racines tout en apprenant à apprivoiser leur présent.
Michel Voiturier
Lire : Andy Simon, « Ballodromes », Arles/Bruxelles, Poursuite/Studio Ultra Major, 2022, 304 p.(35€).
Jacky Legge, « Quand l’art joue à cache-cache au MuFIm Tournai », Tournai/Mons, co-édition Maison de la Culture, Commission des Cimetières de Tournai, Amis du MuFIm, Koma, 2022, 202p.(20€).
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