Bénédicte Vanderreydt : la femme comme centre

“Forclore” 2015 Impression pigmentaire sur papier Baryté 80 x 120 cm © Bénédicte Vanderreydt

Nourri par des recherches, des rencontres, des réflexions, le travail artistique de Bénédicte Vanderreydt à propos de la place de la femme dans la société est à l’image du festival cinématographique tournaisien « Ramdam » consacré aux films provocateurs, dérangeants.

L’artiste déclare : « Ma démarche est d’étudier pendant plusieurs mois une thématique sociétale liée à la femme comme objet de désir, de curiosité ou encore de marchandisation. » Une toile synthétise assurément cette démarche.

Cette peinture-là ne représente pas d’emblée la réalité qu’elle présente car son aspect formel est ambigu. Pourtant, à venir vers elle, on constate qu’il s’agit bien d’un plan rapproché sur un pubis. Mais le réalisme apparent ne se laisse pas décrypter au premier degré puisque l’apparence est anatomique mais aussi paysagère. La chair se métamorphose à l’entre-jambe en cascade et le ventre en minéral crevassé. L’intention de l’artiste est de se servir de notre perception visuelle pour créer une polysémie en passant comme en fondu enchaîné du concret réaliste à une évocation emblématique ou/et fantasmatique.

Les photos de Vanderreydt se servent de la lumière pour créer des ambiances particulières dans des décors choisis dignes d’un film d’épouvante. Elles ont un aspect crépusculaire, celui d’un moment où l’obscurité s’installe, où la nuit est en passe de cacher ce qui ne doit pas être vu, où des mystères semblent se répandre. Elles saisissent une seconde infinie, celle de l’arrêt sur image avant une action ou juste après celle-ci. Elles sont agencées avec une minutie d’enquêteur en quête d’indices. Elles se perçoivent comme scénarisables.

Elles portent des valeurs symboliques fortes car construites sur des oppositions tranchées : clarté><pénombre, jeunesse><vieillesse, femmes ><hommes, dévêtus><nippés…Chacune d’elles comporte toujours une femme plus ou moins dénudée face à des regards en train de la jauger. Il s’agit chaque fois d’un personnage féminin soumis à une épreuve invisible qu’on imagine violente.

Leur titre est indicatif, informatif et suggestif à la fois. « Post coïtum », par exemple, montre, échoué au sol, un corps féminin, oiseau blessé auréolé de plumes d’autruches, tête enfouie sous l’humus d’une forêt embrumée. « Captive(s) » met face à face une femme âgée, vêtue, assise et une jeune personne, nue, au sol. Si l’on prend le titre dans sa forme verbale, on imagine le regard insaisissable de l’une se fixer dans celui visible de l’autre, confrontation avec allusion à la notion de domination physique et institutionnelle de l’une sur l’autre. Si l’on considère la fonction adjectivale du titre, ce pourrait être le résultat de la prépondérance tyrannique des propriétaires externes sur le lieu et les femmes qu’ils y ont cantonnées. 

La photo la plus primée est « Forclore », corps d’amante juvénile crument éclairé, exhibé aux regards d’une dizaine de mâles endimanchés, assis dans le clair-obscur, rigides à la puritaine, visages barbouillés d’un maquillage de carnaval. Le verbe du titre  est archaïque comme les traditions et signifie exclusion et rejet. Sa sonorité, lorsqu’on sait que la photographe et sa famille ont un ancrage généalogique à Binche, suggère un rapport étroit avec « folklore ».

Chaque œuvre exposée suscite un commentaire complexe tant les propositions iconiques de Bénédicte Vanderreydt sont potentiellement riches de significations. Elles stimulent imagination et imaginaire. Elles suscitent un trouble, elles éveillent des associations d’idées avec pour arrière plan une perception sociologique forte. C’est le cas, sans conteste, d’ « Héritage » : une nudité éclatante suspendue par les pieds au milieu d’un espace d’usine désaffectée, farfouillis poussiéreux d’une prospérité sacrifiée, évocation métaphorique de la situation économique d’une région wallonne où les entreprises familiales issues du XIXe siècle ont fini par sombrer.

Puis encore ces travaux qui disent encore et toujours la femme donneuse de vie, malmenée, indignée, affirmée. Ainsi cette représentation de la morula, amas de cellules se produisant juste après la fécondation; ou ce rapport entre speculum et vulve ; voire cette peau fripée surgie d’un noir total en prenant des allures lunaires ou encore ce slogan apposé sur un autre pubis revendiquant une libération des contraintes imposées par le statut souvent encore inférieur auquel sont soumises trop de femmes.

 Michel Voiturier

Galerie Rasson, « Mater semper », rue de Rasse 13 à Tournai jusqu’au 23 janvier 2023. Infos : +32 (0)474 93 50 22 ou www.rassonartgallery

13e Festival RADAM :Expo « Femmes » de Gaël Turine et « Une affiche décalée », Imagix, Boulevard Delwart 60 à Tournai jusqu’au 23 janvier. Infos :+32 (0)495 70 51 70 ou  www.ramdamfestival.be

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