L’art dans Tournai 2014 : effervescence et profusion

Quelques-uns des assemblages colorés de Cyril Bihain © FN.MV

Ces dernières années l’Art dans la Ville a pris une extension inattendue. Plus de 300 artistes et une cinquantaine de lieux pour accueillir leurs œuvres ou leurs performances. Une profusion dispersée difficile à gérer pour le visiteur et une dynamique qui profite à de jeunes artistes tandis que la vénérable cathédrale a pris l‘allure d’avoir été emballée par Christo.

Entre les galeries, les ateliers, les restaurants, les lieux traditionnels et les insolites, pas facile de faire un choix, impossible de tout voir. D’autant que les heures et jours d’ouverture, les durées des manifestations sont différents et se référer à la brochure assez complète éditée par la Ville est indispensable. Épinglons donc quelques moments à voir en priorité.

Une expo tirée par les cheveux

Rassemblant anciens et nouveaux sur le thème du poil et de la chevelure, la chapelle du séminaire offre une variété de démarches. D’abord, sur les prie-dieu du lieu, des portraits destinés à la dévotion. Nathalie Amand a photographié de dos des personnes en pied et de face leurs mains étalées. Le contraste entre le relatif anonymat d’une tête plus ou moins chevelue et des bras présentés nus incite aux hypothèses au sujet de ce qui relie la pensée et l’action.
Christian Rolet conçoit des objets extravagants, plus sensuels que surréalistes, assemblant l’insolite pour susciter des images intérieures, voire pour se mirer à travers des résilles capillaires. Véronique Poppe aligne des portraits intemporels, femmes choisies pour montrer ou cacher leur chevelure ou se montrer sous plusieurs visages, installées sur toile comme autrefois sur de vieilles cartes postales. Florence Roman imagine une osmose particulière entre ciseaux et les poils qu’ils coupent, comme s’ils se nourrissaient d’eux. Jérémy Tomczak suspend un ironique autoportrait.
Pour meubler l’immensité du lieu, Christine Destrebecq y a installé un coin salon (de coiffure) où un casque séchoir distille des sons à ne pas faire se dresser les cheveux sur la tête. Dans une vidéo du style mouvement perpétuel, Priscilla Beccarri accouche, par la bouche, d’une tresse sortie de l’éternité. Jacky Legge a glissé des vocables dont le sens s’est déplacé, que rien n’arrête, même pas un « cheveu de frise » ni un « cheveu d’arçon ». Élodie Moreau prend au mot l’expression « être né coiffé ».

Hymne à la femme, satire anti-macho

En la galerie Drawning Box (ex-Twilight Zone), la même Élodie Moreau explore des rapports femme-homme, femme-monde. Avec le sens aigu qu’elle a d’un dessin qui se révèle réaliste mais sans chercher la reproduction du détail, elle campe des personnages et des situations composés d’accumulations de traits suggérant matières et mouvements, textures et atmosphères.
Des zones noires se densifient afin d’expliquer combien l’homme a tendance à vouloir éclipser sa compagne, la reléguer à l’arrière-plan, la mettre littéralement de côté, la couvrir d’un voile épais, l’ensevelir au besoin, la dissimuler sous sa veste. Il y a là une sorte d’humour un peu cruel qui s’avère nettement plus caustique qu’une revendication féministe râleuse.
D’apparence hâtives, les œuvres sont en réalité très travaillées. Elles disent clairement la dualité des couples où l’une est dans l’ombre de l’autre. Elles réagissent aux contrastes qui les animent. Elles entrent a contrario en résonance avec un court dessin animé où le trait est épuré, l’espace évidé.

Du côté des boursiers de la tapisserie

Olivier Reman s’est penché sur des plans de la cité des 5 clochers. Il en a fait une déclinaison de maisons miniatures notamment en ficelles colorées bleu-blanc-rouge ou en papier portant en stigmates des fragments de cartographie ancienne. Un passé perpétué dans le présent ou un présent se nourrissant du passé.
Sahar Saâdoui s’empare des mathématiques pour leur jouer des tours et nous jouer des images. Il réinvente des géométries fantasques contenues dans une rigueur savante, presque kabbalistique. Dessins, assemblages sur tulle, pliages, découpages, circuits numérisés intégrés désintégrés structurés déstructurés, planisphère d’horoscope onirique.
De Cyril Bihain, on retiendra la joyeuseté colorée. Ses silhouettes insolites en matières textiles composites semblent animées d’un sourire polychrome permanent, marionnettes informelles pour histoires absurdes. La violence des conflits armés anime Olivia Mortier. Son ‘Laboratoire de la guerre urbaine’ est champ de bataille, allusion à des massacres, un plaidoyer créateur pour la paix.
Chez Céline Prestavoine la recherche est matière. Elle se colore monochrome et se veut tactile. Pour faire mine de l’emprisonner Caroline Gilleman accapare l’espace avec des structures teintées qui ont quelque chose d’organique. Parfois elle le condense en une masse compacte, lisse, sensuelle. Dans un cas comme dans l’autre, elle tente de dominer le volume. De Soul K, on retiendra une collection de bouches et de gueules où les dents expriment l’agression, le désir de morsure. Et des portraits gangrénés par des envahissements qui défigurent, témoins muets d’une époque dépourvue de tendresse.

Divers lieux insolites ou non

Chez un bouquiniste, Raymond Coronel a installé ses sculptures à partir de livres. Dans certains restaurants, en association avec le menu, la salle à manger accueille les écritures graphiques de Bruno Gérard, les clichés de Fabienne Foucart, les personnages fantasques de Mona Flo

Au cœur de l’abandon des anciens bâtiments des archives de l’état, un foisonnement expérimental en permanents changements est offert aux élèves de l’Académie des Beaux-Arts qui ne se privent pas de mêler les technologies, notamment numériques.
Un lavoir social sert de cimaises aux photos sur la thématique du blanc, signées Valérie Callewaert, Anne-Sophie Costenoble, Marguerite Lagage, Marina Piérard, Jean-François Spricigo. La façade la ‘maison du diable’ se pare de fresques dues au collectif ‘Les jeunes donnent de la voix’. Le jardin du Centre de la marionnette est colonisé par d’amusantes sculptures acrobates et funambules en scotch translucide du ‘Collectif des Si’, issu de St-Luc.

L’atelier de Van Haelmeersch est envahi par les images combinées peinture-photo, entre enfermement et évasion, destinées à illustrer un livre de Michel Westrade. Au cimetière du Sud, ce sont des couronnes mortuaires qui ont été revues par Sonck, Feretti, Léger et quelques autres.

Au ‘Passé Composé’, Nathalie Amand capte la lumière des cours d’eau, Caroline Léger appréhende le rapport de la végétation et du paysage, Damienne Flipo est à la recherche du silence et de l’absence. Le trio photographe Gérard Adam, Jacques Desablens et Jacques Robert s’abandonne avec délectation à de superbes variations polychromes sur le ‘Petit Chaperon Rouge’ chez ‘L’Art est création’.

La photo s’aventure aussi dans le social grâce à la présence en la Maison de la Culture d’une réflexion en images au sujet des albinos en Afrique noire par Patricia Willocq. Ajoutons les ateliers ouverts au public, dont ceux d’Annette Masquillier, Véronique Poppe, Christian Rolet, Florent Soris, Agnès Peeters… et on n’aura encore qu’une idée partielle de tout ce qui se passe.

Michel Voiturier

« L’Art dans la Ville » jusqu’au 26 octobre dans divers lieux et selon des horaires variables. Infos : +32 69 22 20 45 ou https://fr-fr.facebook.com/artvilletournai et http://www.tournai.be/fr/agenda/index.php?event=4246

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