En rimes riches, architecture et sculpture

Wim Delvoye, "Cement Truck",Courtesy Galerie Perrotin, Paris (c) Tim Perceval

Dans la maison et le jardin de la Villa Datris, une profusion d’œuvres en hommage à l’architecte Tristan Fourtine qui fut un des fondateurs du lieu. On y trouve des liens d’évidence entre les trois dimensions de la statuaire et celle des bâtiments.

Il y eut des architectes pratiquant l’art du maillet et des ciseaux. Ainsi Le Corbusier. Son acajou poli adopte davantage une apparence d’objet surréaliste pour appartement qu’une référence à la notion de construction immobilière. Il est des plasticiens qui habillent des édifices existants. Ainsi Buren qui entoure la cage extérieure de l’ascenseur de filtres transparents : du dehors, le structure se pare de couleurs ; du dedans les utilisateurs voient coloré le paysage qui défile devant eux.

Il est aussi des constructeurs qui rencontrent des artistes et décident d’œuvrer en commun. C’est le cas de Bernabei et Abrecht. D’où la naissance d’un agencement bois-acier qui se peut voile, fuselage, vaisseau… et pourrait devenir un jour gare, restaurant, lieu d’accueil…, résultat de la coopération entre un urbaniste et un plasticien.

Maquettes et avatars

Mais ce sont d’abord de vraies maquettes d’architectes qui disent clairement le propos. Fourtine (à qui Henri-François Dumont rend hommage grâce à une panoplie amusante d’outils des bâtisseurs de jadis) est présent avec un projet de domaine viticole ; Jean Nouvel (statufié ailleurs par Veilhan) rappelle qu’il réalisa le stade de France ; Antti Novak installe ses maisons-bulles alvéolaires et ajoute une étude de structures quittant l’aspect utilitaire pour devenir pure esthétique. Le plâtre blanc, rehaussé d’une feuille d’or, imagine, selon Pigeau, des sanctuaires en attente d’une spiritualité hors temps.

L’architecte Bernard Tschumi, toujours en quête de moyens pour relier le réel et l’inventivité, expose une sorte de ‘maison folie’, rouge éclatant, aux lignes géométriquement rigoureuses quoique n’enfermant nullement l’espace construit, lui donnant au contraire une ouverture du carré vers le rond, du dedans vers le dehors, du sol vers le ciel. Shigeru Ban a inventé des cabanes, constructions temporaires destinés à dépanner les survivants d’un tremblement de terre en 1995. Elles offrent un abri minimal plus solide et confortable que des tentes.

Claude Parent privilégie les obliques. Par conséquent, le plan incliné devient primordial. Les marelles de Jean-Paul Philippe sont d’abord présentes sous forme de dessins délicats. Ensuite par un prototype sculpté. Il y règne une atmosphère singulière dans la mesure où elles sont l’archéologie d’un rêve. Pour Lorenz Estermann, ses maisons futuristes font d’abord étalage de matériaux ordinaires et d’une grande vulnérabilité. Le « Pavillon Porte de Versailles » de Dan Graham incite le promeneur à y entrer, à parcourir ses courbes en observant les effets miroir des parois.

Chez Joris Van de Moortel, il y a ambiguïté entre ce qui est présenté et ce que cela représente pour le visiteur d’expo. L’aspect de non finition laisse planer le doute quant à savoir s’il s’agit d’une sculpture pauvre ou un prototype en voie de conception. Par contre, la minutie aseptisée du couple Poirier permet de fantasmer sur un futur désespérément lisse et privé de surprises. Du même genre, les cubes de Sou Fujimoto ont au moins le mérite de croire encore à la présence de la nature.

Cette nature, magnifiée par La Fratrie (les frères Berchiche) dans des couleurs attirantes, est aussi, de manière ludique et dérisoire, celle qui finira par envahir les constructions contemporaines jusqu’à les transformer en ruines antédiluviennes. Partant des leçons du passé, Ciris-Vell s’amuse à l’évidence à proposer des maisonnettes fichées sur des tiges afin de les mettre à l’abri des inondations à répétitions de nos climats dérangés. Son humour rejoint celui de Miro, thuriféraire ironique du monument de monsieur Eiffel.

Larissa Sansour dresse une tour provocatrice qui appartient à son utopique projet d’une Paslestine érigée en hauteur pour compenser le manque de place phagocytée par les colons israélites. Le « Wall Street » de Niki de Saint Phalle est chargée d’ironie fantasque. Hap Tivey déambule aux frontières de la réalité en montant l’évocation d’une maison de thé en volumes, avec des effets lumineux et des projections de paysages, jeu de construction pour adultes restés proches de l’enfance. Avec son curieux édifice apparenté à une succession de toboggans, Rémy Jacquier prend plaisir à nous laisser supposer des cavalcades de gamins soudain pris par la vitesse de leur descente.

Entre sculpture et maquette, le « Castelet de l’Hourloupe » de Dubuffet a l’aspect d’un bloc rocheux dont le trait noir caractéristique de l’artiste cerne les éléments. Sarah Sze suspend des pages assemblées, lithographies découpées au laser qui suggèrent des buildings quasi devenus translucides. De leur côté, Feipel et Bechameil ont réalisé la reproduction d’une façade de HLM destinée à la démolition. D’autant plus impressionnant qu’il s’agit d’un immeuble vidé de ses habitants et des objets qu’il contenait, immense vacuité de ce qui contenait de la vie et sera bientôt dynamité. Berdaguer et Péjus alignent des variations réduites à la taille bibelot d’aspect porcelaine d’une maison devenue elle aussi fantôme.

Bret-Brownstone élabore une structure mi-géométrique, mi-écoulement ou dissolution. Marino Di Teana plante sa « Tour Jardin » pour cité avant-gardiste. Quant à Betty Bui, elle suspend dans l’espace une « Ville invisible », gratte-ciels de verre éclairés de l’intérieur. Tandis que Nathalie Elemento nourrit la contenance de deux boites grâce à deux pliages partis de la même proposition. Cela aboutit à une espèce d’analogie entre un positif et un négatif.

Les chambres avec mots de Denis Pondruel se visitent à l’œil nu. Celui-ci pénètre dans leur béton par des portes ou des fenêtres ouvertes ; il découvre des couleurs filtrées par du verre façon vitrail. On y lit des phrases ou des vocables censés être une obsession de pensée de celui qui y résiderait, vivant ou mort. L’utopie est magnifiée par Nicolas Grospierre : il concrétise des buildings horizontaux jamais construits après avoir assemblés des clichés d’immeubles de Brasilia, ainsi la réalité rejoint-elle la chimère. Alors qu’il apparie des façades réelles en un photomontage qui les rend infiniment et indéfiniment étranges.

Les formes enchevêtrées d’André Bloc ont quelque chose d’organique, évoquent une grotte et, par conséquent, s’associent aux troglodytes alors que ses assemblages de fils métalliques laissent le volume s’aérer. Sa sculpture-habitacle prend l’aspect d’une élégante habitation composée de courbes harmonieuses. Les structures en balsa d’Étienne-Martin, destinées à une église, conjuguent la rotondité d’un nid. Elles sont le pendant, à leur manière, du ‘nichoir’ de Maki Georgeon. Si le couloir coloré de Tilman invite à sa traversée lumineuse, il faudra attendre qu’il soit réalisé grandeur nature pour le fréquenter vraiment.

Jeu et plasticité

Le paradoxe, c’est chez Dewasne, qui intitule ‘antisculpture’ son travail de peintre sur un morceau de carrosserie. On y retrouve ses couleurs familières dans les bleus et les rouges, ses arrondis couplés avec des droites. En effet, la tôle est un proéminence et donc elle permet à la peinture de se trouver comme dans un bas-relief.

Wim Delvoye représente carrément un engin de chantier. À ceci près que tous les détails sont ceux des architectures gothiques de cathédrales. La trivialité du camion cimentier est en conflit avec la finesse des dentelles de métal comme souvent chez lui, sans doute de la même manière que notre production industrialisée est l’inverse de l’artisanat personnalisé.

Le « Paris Express » de Françoise Schein est un croisement entre peinture, collage, jeu éducatif, cartographie… La fantaisie laisse place belle à l’imaginaire. Les « Lurra» de Chillida ont l’allure d’un bloc compact aux contours de signes d’écriture ésotérique. Le duo Poirier a interrogé les mythologies antiques. Jean Denant modèle du plâtre de façon à ce qu’il ressemble à du papier chiffonné. Sur ce matériau vulnérable, il imprime des images en noir et blanc d’immeubles sinistrés. Il assemble dès lors fond et forme.

Ernst Günther Herrmann s’installe au-dessus du cours de la Sorgue. Des tiges d’acier en suspension dessinent dans l’espace une évocation du passage fluide de l’eau. En acier également, un signe graphique de Chantal Atelin zèbre l’espace comme Zorro aurait pu le dessiner à la pointe de son épée. Chez Barrier, des découpes jaunes ont l’air d’avoir été produites par un pliage d’origami. Sanhes lance un jalon gestuel tortueux du plus beau rouge en poutrelles d’acier. Et du côté de Laurent Baude, un « Zigzag » s’amuse en entrer et sortir du sol comme un ver de terre ou un serpent rendu danseur par un joueur de flute.

Les volumes géométriques noirs superposés par Odile Decq sont une étude des rapports entre vides et pleins. Tout comme « La pierre trouée » de Miguel Isla ou la «porte étroite ». Le cube ajouré de Sol LeWitt souligne une architecture du vide. Les néons en forme de fenêtre à petits carreaux de Malphettes ne laissent pas deviner qui habiterait derrière, éclairant l’extérieur au lieu de recevoir la lumière solaire pour l’intérieur.

Des réalisations sont destinées à s’intégrer dans un bâtiment existant. Telle est cette fresque en relief destinée à une académie de musique due à Edgard Pillet, succession de formes en relief qui seraient une écriture braille inédite. Telle est aussi cette pièce de lattes contraintes par Alexis Hayère à se loger dans un espace habité, comme ici dans l’encadrement d’une porte. Forcé par l’artiste, le bois adopte provisoirement une forme qui est celle de sa pression sur le lieu qu’il investit. Régina Falkenberg crée, par machine interposée, des objets inclassables dont elle invite à découvrir l’usage imaginaire dans un logement existant.

Le béton fibré de Milène Guermont mise sur la sensualité. Ses excroissances douces, comme issues de la matière, semblent lui appartenir tout en s’en détachant. L’utilisation du papier-pierre par Gabriel Sobin mène à une étrange mutation. Cette matière nouvelle, essentiellement minérale avec un léger pourcentage de plastique recyclé, permet de mouler des blocs dans une carrière en les restituant à l’identique mais sans le poids de la matière initiale. Sa singularité s’incarne en illusion.

Meuser travaille dans le concept. Il rassemble des éléments en leur forme industrielle quasi brute en imposant leur présence nue. Anna Veronica Janssens met une simple plaque de verre securit en posture de sculpture : brisée, recouverte de film translucide, elle laisse la lumière se prendre au piège des fragments, rendant puzzle la réalité renvoyée.

Shöffer, selon sa théorie du ‘spatiodynamisme’ c’est-à-dire de « l’intégration constructive et dynamique de l’espace dans l’œuvre plastique », offre des possibilités plurielles de points de vue par l’intermédiaire du reflet de la lumière sur l’aluminium, et aux textures qui vont de l’opaque au transparent via le translucide.

La vidéo a trouvé en Jette Hampe un médiateur entre image et pensée philosophique. Elle est au service de Robbie Cornelissen pour une plongée vertigineuse vers un avenir urbain aux structures mathématiquement organisées. Elle développe en continuité une ville en métamorphoses incessantes selon l’optique de Miguel Chevalier.

Jeu complexe de formes, le travail de Jacobsen refuse l’enfermement par sa structure aérée, à la fois légère et robuste. Arbre réduit à une géométrie aux lignes figées, Dilworth lui donne statut de gardien totémique. Alors que l’ « Hommage à Lao Tseu » de Di Teana prend une allure plus majestueuse, s’impose comme une force latente au repos. Caro implante des tréteaux en bois de chêne. La massivité, ici, en change l’apparence en une évocation de lieu sacré antique contenant quelque énigmatique dépouille. Medjid Houari met trois éléments métalliques en équilibre. Avec l’instabilité qui se perçoit, il laisse entrevoir soit une chute possible, soit un maintien fragile, métaphore sans doute de ce que sont nos existences.

Au contraire, Jean Suzanne imbrique une pièce polie et une en acier corten. Cela donne une forme autre de stabilité, plus massive, bien qu’aménagée en partie comme une entrée. Il s’avère que cela ressemble à la fois à un menhir et à un dolmen. Philippe Gourier développe ce genre d’assemblage en espaçant des éléments qui traversent une paroi, accouplés à elle, effaçant les vides potentiels par la massivité de leur présence. Avec Parvine Curie se retrouve le domaine de la porte, le thème du passage aussi bien de la lumière que des êtres. Un thème que s’approprie encore avec élégance Bernard Cousinier.

Le globe terrestre imaginé par Jean-Claude Meynard est symboliquement chargé puisqu’il y présente des silhouettes d’individus solidairement reliés les uns aux autres en ribambelle. L’ « Information circulaire » de Pancho Quilichi est ambitieuse. Son mélange de verre et d’aluminium tente d’incarner en transcription formelle le parcours de particules énergétiques vers un noyau, lequel engendrerait une sorte de big bang.

Vincent Mauger superpose des découpes arrondies qui, selon l’angle de vision, présentent une structure ajourée ou un ensemble compact, un amoncellement aérien ou un îlot en attente de vie. La cité dessinée au bic et les escaliers calcaires sculptés par Annabelle Soriano rappellent les dessins trompe-l’œil de Escher. C’est une résurgence du jeu de mikado qu’a conçu Szajner, bâtonnets de bois partiellement colorés, entassés jusqu’à poser la question de savoir lequel retirer sans provoquer l’écroulement d’un ensemble qui ose risquer le précaire.

Occupation des lieux

Si les sculptures réparties à l’extérieur dialoguent avec le jardin, des installations à l’intérieur s’approprient littéralement les lieux. Le surprenant envahissement de Manuel Merida métamorphose un palier à l’étage. Un assemblage en apparence hétéroclite, strié rouge et blanc, fascine par ses éléments mis en mouvement grâce à des moteurs et la répétitivité de ses motifs. Non seulement cela se réfère à l’art cinétique, mais brasse aussi d’autres tendances puisque des objets très concrets d’ameublement sont intégrés à la grande abstraction des rayures écarlates. Cette installation cohabite avec un travail de même bicoloration dû à Annette Streyl qui reproduit une tour médiatique avec la souplesse et la fragilité allusive de la laine crochetée.

Déferlement moins invasif, les structures modulaires d’Andrasek et Sanchez écoulent leur cascade mauve à la façon d’un jeu de modules en plastique qui donne envie de les modifier comme ces jeux de lego qu’affectionnent les enfants. Association ou fusion entre sculpture et architecture, l’œuvre d’Amy Yoes contraint le visiteur à générer sa propre interprétation individuelle en la regardant grâce à un trou percé dans la cloison. Son œil découvrira, à l’instar de quelqu’un qui pénètre dans un grenier inconnu, des volumes, des surfaces agencées en ensemble fini tout en ayant chacun une présence particulière, indépendante. En quelque sorte, l’œuvre de Jacqueline Dauriac est virtuelle. Elle produit de la lumière, donc des ombres, un climat sensoriel dans lesquels les couleurs et l’intensité imprègnent les rétines.

Benoît Luyckx imagine des tours jumelles, bien avant les événements tragiques du 11 septembre. Mais les siennes, au lieu d’être rectilignes sont courbes. Kawabata échafaude à son habitude des éléments selon un risque calculé de déséquilibre, assemblage vertigineux aux grâces de dentelle, aux aspérités de construction victime d’un tsunami.

Michel Voiturier

« Archisculpture » à la Villa Datris, 7 avenue des 4 otages à L’Isle-sur-la-Sorgue, jusqu’au 1 novembre. Infos : 00 33 (0)490 95 23 70 ou vwww.villadatris.com

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