En Regard : des perceptions complémentaires à Namur

Marthe Wéry, 2000, acrylique sur panneau de bois. Collection musée d’Ixelles©DR

Mettre en dialogue des œuvres de la collection provinciale et une sélection de celles du musée d’Ixelles constitue une excellente formule pour comparer des perceptions esthétiques différentes et montrer que l’art oriente notre façon de regarder le monde. Le tout dans une scénographie aérée, équilibrée, intelligente.

Le portrait est une thématique classique. Chaque époque a eu ses critères, chaque artiste ses préoccupations. Trine Sondergaard prenant une femme de dos la rend anonyme ou sous-entend qu’on la réduit à n’être pas reconnue pour elle-même. Juan Paparella montre une personne dévorée littéralement par la lumière, en train de disparaître du lieu ou de la mémoire d’autrui. L’autoportrait d’Anne de Gelas est une transcription du désespoir après la mort de son compagnon. Sophie Keijken assemble des fragments afin de former un tout.    

Juan Paparella, sans titre, encre sur papier. Collection Province de Namur.©Vincent Everats

Avec une présence colorée d’arbre, les photos de Gilbert Faestenaekens mettent en évidence la carence végétale en centre urbain. À l’inverse, Rousse intègre une sculpture géométrique dans un lieu envahi par une exubérance verte. La vidéo d’Adriane Loze place une femme au sein d’un autre espace vert dans lequel elle semble à la rencontre de son double. L’exploration de l’espace qu’elle filme se déroule en confrontation avec la nature telle qu’elle se présente, ouverte sur l’horizon et, par ailleurs, la rencontre d’une présence humaine lorsque, se déplaçant, elle se retrouve enclose au sein d’une architecture et de ses matériaux.

Renato Nicolodi sculpte en pierre compacte un monument de la massivité et de la majesté. Charlotte Marchal au moyen du métal se prépare à une légèreté que son disque métallique aux allures de coupe-vent concrétise. La sculpture de Xavier Mary revendique, elle, une perfection formelle surgie de pratiques industrielles. Aidan Salakhova travaille le marbre et schématise un livre de pierre. Lili Dujourie traite ce même matériau en élément fictif d’architecture inscrit dans une mémoire.

Peter Saul emmène vers sa pop exubérante et polychrome grâce à son hommage polémique à Angela Davis militante des droits de gens de couleur empalée sur le building du ministère de la justice. Evelyne Axell exalte le corps en unissant, stylisés, tête-bêche, deux nus aux visages encadrés du cercle rouge des interdits. Benoit Plateus démontre les possibles déformations d’une image suite à une série de manipulations numériques. Walter Swennen, à l’inverse, propose un sujet réduit au minimum de sa seule forme tandis que Jean-Luc Moerman chorégraphie souplement d’élégantes volutes graphiques .

D’un drap de bain, Delphine Desguislage envoie un message féministe traduisant des états d’âme intérieurs face à la trivialité du quotidien. Michel François s’empare d’un ordinaire proche, celui des assiettes cassées, réunies en pendentif monumental pour poésie d’objets déclassés. Cindy Wright inscrit dans la délicatesse d’une porcelaine la famélique silhouette d’un oiselet prêt à être servi comme menu à un chat tandis que Jann Haworth ironise, parodiant en carton une tasse de thé pour snobinard vieillissant.

C’est une structure en acier que Peter Downwbrough installe comme une concrétisation en trois dimensions de notre perception de l’espace dans un minimalisme efficace. Plus célèbre par ses monochromes, Marthe Wéry peint ici des traces  minimales, donne d’un panneau de bois une perception autre qui habille et révèle la matière.

Le portrait « Méduse orpheline » est celui d’une actrice de cinéma, perturbé par des découpes en ronds défigurant son visage. La déformation de la figure intéresse également Cluiysenaar, il lui donne des allures de pièces de puzzle hâtivement rassemblées. Stephan Balleux étale une impressionnante peinture polychrome à souhait, déferlante d’énergie transmise.

Henri Michaux, 1961, sans titre, encre de Chine sur papier. Collection musée d’Ixelles.©DR

L’écriture mescalienne de Michaux explore les effets de la drogue sur la créativité graphique en un pullulement de signes répétitifs. Il offre aussi une page devenue concentré d’un langage ésotérique transformant l’écriture en page de concerto. Sophie Wettnall transmute ses graphismes en paysage montagneux. Sophie Podolski donne à la ligne le statut de se transformer en inventaire de table après agapes bibitives, verres et bouteilles se déclinant en éléments traversés les uns par les autres selon un désordre de fin de soirée. Quant aux écritures de Mimi Smith, elles se conforment ironiquement à la fonction de journal intime révélé à tous.

C’est à la trace d’une performance que nous convie Carolee Schneemann. Il s’agit d’un témoignage photographique sérigraphié d’un jeu fomentateur effectué lors d’un moment où les agents de protection d’une galerie ont l’attention détournée : à savoir le déshabillage intégral de l’artiste en cœur d’expo. Dujourie, déjà présente dans l’expo, ne dédaigne pas provocation et subversion des codes en étalant une série de clichés d’un nu masculin saisi en positions diverses dans un clair obscur qui laisse planer une certaine ambigüité.

Edith Dekyndt se sert du symbolique pour en redonner une autre perception : sa vidéo de drapeau flottant au vent n’est plus l’emblème d’une victoire, d’un nationalisme mais plutôt d’une liberté établie dans un espace sans frontières. A travers les filtres qui rappellent les viseurs d’armes de guerre, le visiteur peut découvrir des actes guerriers intolérables par les Américains sur les Irakiens, tel est l’engagement d’Emmanuel Van Der Auwera.

Les sculptures de Maarten Vanden Eyde témoignent de son engagement idéologique. Sa transposition en marbre blanc d’une balance de boucher est un rappel brutal d’un moment de la colonisation du Congo qui s’accommodait de pratiques antihumanistes. Ce qu’elle pèse en effet c’est le moulage d’une main de statue de Léopold II arrachée par des manifestants contre la pratique des mains coupées d’indigènes indociles.

D’œuvre en œuvre, notre regard s’affine. Il perçoit des techniques artistiques, des inspirations thématiques qui donnent à voir, à émouvoir autrement. De quoi convaincre les plus réticents que reproduire le réel n’est pas vraiment un des buts de la création artistique. Il serait plutôt de nous rappeler qu’il y a autant de sensibilités que d’êtres humains, chacun percevant et transmettant avec sa propre richesse culturelle.

Michel Voiturier

Au Delta, avenue Golenvaux à Namur, jusqu’au 13 août 2023. Infos : +32 81 77 67 73 ou www.ledelta.be

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