Des rescapés de l’art brut en quête de mondes à partager

Sculpture (Abel) © FN.MV

Les œuvres glanées çà et là par Bruno Gérard se rassemblent sous l’égide du foisonnement. S’il y a en effet du baroque, de l’expressionnisme, du burlesque, il y a d’abord accumulations. Que ce soit de formes, d’objets, de traits, de détails… la créativité se décline en multiplications.

Les accumulations provoquent une impression de surabondance, de trop plein qui se déverse pour devenir soulagement. Les multiplications forment un envahissement qui remplit l’espace et témoigne des traces laissées par le temps.

Déferler en trois dimensions

Les ‘sculptures’ d’Abel se présentent comme une nécropole naine. Les crucifix abondent. Ils ont été confectionnés de bric et de broc, avec un résultat façon brocante. Une bonne partie est bardée de violence. On y voit des agrégats de militaires, d’armes qui grouillent, d’engins sortis de films de science fiction du genre Mad Max. D’autant plus impressionnant qu’est ressenti le trouble de se trouver en présence d’éléments jetés à la décharge et reprenant vie sous une forme qui allie exubérance hasardeuse et agencement méticuleux.

Avec Le bureau du boss d’André Delvigne, la démarche se concrétise en une seule œuvre contenue dans une valise et débordant de celle-ci. L’hétéroclite commence par de l’homogène : statues, images pieuses, cierges et divers éléments liés au religieux, à la dévotion. Mais d’autres objets se mélangent. Il y a là une atmosphère particulière que la cire coulée des bougies agrémente de stalactites. Des allusions culturelles balisent l’espace. Quelque chose de mystérieux se dégage de l’ensemble comme si c’était un objet destiné à quelque culte ésotérique.

Les cannes panachées de Jean-Pierre Rostenne semblent avoir perdu leur usage pratique pour concrétiser une valeur symbolique. Celle des grigris, celle des baguettes de sourciers, celle des gourous guérisseurs. Celle d’une croyance vague reliant des choses du quotidien actuel et des ustensiles détournés.

Tatouer des détails révélateurs

Pour Frédéric Étienne, la profusion est joyeuse. Elle naît des coloris vifs de petits jouets, figurines et objets, qui déferlent en cascade ludique, agrippés les uns aux autres. Malgré le capharnaüm, voire grâce à lui, des détails frappent ; telle ou telle poupée de dessin animé ou de B.D. accroche des souvenirs reliés à l’enfance. En ressort une sorte de jubilation enjouée, une réminiscence de fêtes foraines mais aussi une espèce d’ahurissement face à la multiplicité prolixe de babioles hyper colorées créées pour attirer les regards des bambins et des écoliers.

De Nils Dieu, voici une série de dessins à la modernité picassienne. Personnages campés à gros traits souvent caractérisés par des déformations. Ils sont alignés comme des cases de bande dessinée muette composée d’êtres en action. Ses petites sculptures ont des réminiscences d’art premier. Tatouées de motifs peints, elles paraissent concentrer sur leur apparence l’évolution du vivant.

À travers l’unique travail de Julien Tama perce aussi l‘occultisme. Le symétrique partiel de sa composition rappelle des réalisations célèbres de spirites tels qu’Augustin Lesage. Tinus Feusels est dans l’arborescence expansée. Ses arbres se développent un peu de manière tentaculaire. Leur opacité colorée laisse çà et là de petites trouées lumineuses car la lumière est au-delà, une fois passée la barrière du feuillage et des branchages.

Guy Degraine organise des entassements de gens et d’architectures. Ses foules et ses lieux donnent l’impression de masse, de compressions, d’élans collectifs au détriment de l’individuel. Les nus provocateurs de Kristien Heymans ont des anatomies griffées par les traits qui habillent leur peau. Ils ne sont pas sortis indemnes de leur passé ; ils affrontent le présent avec le besoin de ne rien cacher de ce qui les meurtrit.

Les saynètes crayonnées par René Dubois laissent percer un arrière fond angoissé à travers la pose des personnages dessinés. Il invente également des êtres dont on éprouve l’impression qu’ils sont perçus à travers une radiographie de leur corps, intrigante vision qui révèle autant l’apparence que la personnalité cachée. Une similaire angoisse se retrouve exposée dans les œuvres de Paul Blockx.

Expressionnistes et hallucinatoires, elles écorchent les apparences pour atteindre les blessures intérieures. Patrick Schummer aligne des portraits. Ce sont ses icones : les figures saisies en gros plan et à gros traits donnent à voir des personnages à qui devrait être attribué le statut de guide spirituel. Il y a là une espèce de sacralisation, d’une mise en culte de gens à imiter pour donner et pratiquer des valeurs.

Dommage que faute de moyens les cartels soient rudimentaires et que la disposition des lieux accentue les reflets du jour sur chaque vitre des cadres. Cela atténue le plaisir pris à regarder ces travaux artistiques qui incitent à voir autrement le monde.

Michel Voiturier

« Trajectoires parallèles » à la Maison de la Culture de Tournai jusqu’au 10 avril 2016. Infos : +32(0)69 25 30 80 ou http://www.maisonculturetournai.com/ . Reportages à visionner : http://www.notele.be/list50-la-culture-a-la-carte-media41090-rene-dubois-un-artiste.html –
http://www.notele.be/list50-la-culture-a-la-carte-media41229-trajectoires-paralleles–patrick-schummer.html

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