Terlinden est un expérimentateur. Il promène sa créativité débordante dans bien des domaines, alliant une rigueur de finition et une désinvolture amusée. C’est bien le monde qu’il interroge pour que celui-ci nous révèle les questions qu’il nous pose. Nous reste à trouver des réponses.
Prolifique, Christophe Terlinden (1969, Etterbeek) surprend toujours. Il a, par exemple, un agenda de science fiction unique, celui où est inscrite la date de la fin du monde, rendant ainsi inutiles les pages qui suivent. Il filme en vidéo un jeu éducatif de mémorisation de telle façon que tout se brouille. Voici aussi qu’il pastiche Le Corbusier avec des legos. Un distributeur de bonbons sous sphère plastique donne une œuvre d’art à tout le moins ironique pour 2 petits euros. Des ‘chinoiseries’ façon kitsch pour déco de resto asiatique avoisinent un mini-bolide pour courses imaginaires made in China.
L’humour n’est jamais loin dans les recherches qu’il expose. Ainsi de ses pommes de terre en bronze installées au Centre de la gravure à La Louvière qui matérialisent « le mot, l’idée et l’image », et que Francis Mary définit comme « version patate-physique » du lien entre « une technique et des valeurs philosophiques ». Ainsi son hommage à un saucisson français. Ainsi de ses affiches de panneaux solaires destinées à fournir de l’énergie à un centre d’art. Ou encore de ses limaces mauves réfugiées dans un attaché-case, improbable alliance entre la lenteur molle insouciante et l’agitation des hommes d’affaires ou des représentants de commerce. Une gravure à la feuille d’or se fige, elle, entre richesse et pauvreté.
Ses bonshommes en pelure d’orange évoquent un dérisoire que dément leur reproduction en alu. Des bouteilles en bois rejoignent des bus en même matière, compactes les unes comme les autres, inutiles sans doute mais quelle présence ! Un radiocassette en forme d’édifice monacal ou ecclésial laisse s’échapper des airs de danses pour carillon. Une proposition ascétique de drapeau nouveau pour l’Europe laisse croire que ça tourne en rond ou que ça pourrait tourner rond, qui sait ?
Que tout art soit une forme de mensonge par rapport au réel, voilà qui est entériné par une série de Pinocchio en équilibre précaire sur un appendice nasal démesuré. Car Terlinden est un équilibriste qui pourrait à tout moment se casser le nez mais retombe toujours sur son art. Il est aussi prestidigitateur lorsqu’il transforme l’acronyme du musée d’Anvers, MUKHA, en un mot imprononçable à cause de la disparition de son U, action symbolique censée le doter d’un plus grand espace par où y pénétrer.
Il n’y a pas chez cet artiste cette dérision si présente dans un nombre de courants contemporains. Pas plus d’ailleurs qu’une agressivité revendicatrice ou contestataire. Pourtant la subversion est constante. Une subversion allusive, sensible, intelligente plutôt qu’intellectuelle. En quelque sorte notre Thil l’espiègle, « géomètre social, homme de loi et de foi » comme le définit Yoann Van Parys.
Il semble s’interroger à propos de domaines très différents et en dehors de toute exclusive hiérarchique : l’art, son histoire et son marché, le temps, le jeu, la politique, l’environnement, la consommation, la cité, la mobilité liée à la transhumance autant qu’à la mondialisation, l’enfance … Finalement il pourrait, mais avec davantage d’élégance, concurrencer Laurent Baffie et ses « 500 questions que personne ne se pose », comme il l’avait déjà pratiqué naguère au MAC’s avec sa vidéo de gamin posant une litanique succession de « Mais pourquoi ? » pimentés par les mimiques d’un gosse visiblement en train de s’amuser.
Michel Voiturier
« No Sugar », à l’Iselp, 31 boulevard de Waterloo à Bruxelles jusqu’au 29 novembre 2014. Infos : +32 (0)2/ 504 80 78 ou http://iselp.be/
Catalogue : François Curlet, Bart De Baere, Anne-Esther Henao, Luk Lambrecht, Francis Mary, Yoann Van Parys, 0123456789 Christophe Terlinden, Bruxelles/Château Gontier, ISELP/Le Carré, 2014, 134 p.
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