Bribes d’art venues du Sud

Une touriste wallonne transformée en sculpture éphémère par Erwin Wurm (c) FN-MV

Parmi bien d’autres, en quelques lieux, des rencontres diversifiées de l’art d’aujourd’hui. À L’Isle-sur-la-Sorgue, rituel annuel que l’expo à la Villa Datris. Cette fois, place aux animaliers contemporains. En la même ville, au Camprédon, en lien avec les Rencontres photographiques d’Arles, un hommage au photographe de mode Guy Bourdin. Le Cantini de Marseille s’est ouvert à Erwin Wurm et à Nimes, un facétieux photographe, Andujar, joue au jeu de massacre avec les puissants de la politique mondiale. 

EN LA VILLA DATRIS

Il y a là – c’est du moins ce que semble suggérer une installation de Balkenhold lorsqu’il a sculpté sur bois un chien face à une caravane – une incitation à observer, à regarder, à induire. Cette exposition se révèle assez proche des cabinets de curiosités de jadis qui semblent revenir à la mode. En atteste cette étagère contenant créatures et objets en papier mâché qu’a collectionnés Marx Dion.

On trouve en effet dans la Villa Datris des animaux très divers, existants ou imaginaires. Il y a des sciences dans tout cela autant qu’il y a du rêve ; il y a des observations et des recherches dans le travail proprement dit de la sculpture, des matériaux utilisés autant qu’il y a de l’inventivité créative débridée ; il y a une réflexion forcément écologique en liaison avec les préoccupations climatiques et géopolitiques sans négliger ce qui existe d’attirance humaine vers l’animal en terme de complémentarité ou d’affectivité, sans négliger la part sombre des peurs entretenue par mythes et fantasmes dont on dirait que la « Sentinelle » de l’entrée est, selon Françoise Petrovitch, un avant-goût.

Interrogatifs 

Combas renoue avec la mythologie et l’enfance. Son cheval jouet de 3 mètres sur 4 a donc des affinités avec celui de Troie. Mais où donc est l’ouverture pour que les gosses entrent et aillent investir l’espace de leurs parents ? Prune Noury s’interroge à propos du genre et de l’espèce. Ces êtres qu’elle façonne sont-ils mâles ou femelles, humains ou animaux ?

Les pelucheux paresseux de notre compatriote Elodie Antoine sont dispersés un peu partout, installés dans des arbres, hors de notre portée. Ils sont réputés pacifiques. Que se passerait-il, se demande-t-elle, s’ils s’unissaient soudain pour coloniser l’homme ?

Laurent Perbos a investi un arbre mort par des créatures animalières évocatrices mais non définies. Elles nous observent. Elles sont sur leur territoire et nous dans le nôtre. Sommes-nous ou pas compatibles ? De même, l’autre installation de l’artiste, à l’intérieur cette fois, accroche des cages dans lesquelles les oiseaux sont des éléments lumineux colorés. C’est l’enfermement. Aurions-nous besoin de maintenir une certaine forme de beauté en captivité pour que nous soyons certains de l’avoir à notre portée au lieu de la rechercher en son milieu naturel ? 

Ugo Rondinone suspend des poissons de bronze. Que nous sachions nager ou non, il faut passer entre et sous eux, nous inquiétant de ce qu’ils peuvent penser. Richard Jackson aime les canards. Un caneton qui a des yeux, un regard comme des seins, a-t-il le droit d’être là, en dehors de rêves rigolos ?

Caroline Achaintre Stooger, c’est le mystère d’une forme à tentacules. Saisirait-elle nos doigts si nous avancions la main vers elle ? Le « Non-oiseau » de Wang Keping est ce que dit ce titre et il n’est pas ce que ce titre ne dit pas. Il existe néanmoins. N’est-ce pas cela le rôle de l’art ? Cependant s’il pondait, l’œuf de David Shrigley, quelle sorte de poussin serait à baptiser par un critique d’art ?

Annette Messager invente des escargots-seins. Comme si, au lieu d’être caressés, ce sont eux qui procureraient des sensations sur la peau. Ne voudrait-elle pas plutôt nous dire qu’il convient que les caresses que nous leur destinons se doivent d’abord d’être lentes ?

Le couple lion-lionne de Wim Botha en fragments de pin rappelle de manière saisissante à quel point l’art est susceptible de transformer une apparence en une autre réalité, une matière en une autre : comment le ligneux, sous des doigts de sculpteur, se métamorphose-t-il en charnel ?

Effrayants

Doublement étranges, les insectes en verre de Jean-Marie Appriou s’inscrivent dans l’ordre de l’insolite et donc de la méfiance. Bachelot & Caron choisissent la pieuvre, animal fantasmatique s’il en est en littérature et au cinéma, accentué par le rouge de son aspect extérieur. Le poulpe de Sébastien Gouju semble être un être familier puisqu’il est installé sur une étagère en céramique. A ceci près que ses tentacules la traversent allègrement. De quoi susciter quelque recul à celui qui croirait avoir l’audace de s’en approcher.

Tue Greenfort insiste avec une méduse plus tentaculaire que tentante. La raie électrique de Laurent Grasso est du plus beau jaune et rien ne nous contraint à sa décharge. Les fourmis (rouge vif) de Nicolas Eres, ferrailles tordues à la main, se baladent çà et là, alarmantes par leur taille de mutantes, d’autant qu’elles grimpent à l’assaut de l’ascenseur.

Les chauves-souris de Serena Carone sont cramponnées au plafond. Elles sont une centaine en même céramique. Imaginez le nombre de visiteurs/teuses qui baissent la tête en passant ou se protègent les cheveux. Harald Fernagu prolonge un masque africain de fabrication touristique avec une photo de la vie ordinaire, mise en tension entre le poids du légendaire et la réalité d’un monde qui, à l’inverse des contes, conserve un côté immuable.

En une douzaine d’écrans, Ursula Palla montre des fourmis en train de dévorer des billets de banque, image plus que symbolique de l’érosion de la valeur monétaire dans nos sociétés d’économie spéculative, impitoyables pour ceux qui s’efforcent de survivre avec des rentrées d’argent parcimonieuses.

Fantaisistes

Alain Séchas a sans nul doute créé un Chat Cygne pour que, échaudé jadis, il se baigne aujourd’hui dans un lac de Tchaïkovski. Annie Lacour n’a pas les poules de tout le monde. Les siennes ont des ailes bonnes à décapiter les œufs mollets. La poule synthétisée de Di Rosa dispense une ironique présence relevée par le vif jaune de son corps triangulaire. Quant à César, la sienne ne paraît pas très sortable : elle risquerait de se faire écraser.

Corneille veut des gallinacés d’éclatante parure ; l’un d’eux a reçu ses doses de peinture rutilante. L’automobiliste qui le truciderait ne serait personne d’autre qu’un… Miro. Mrdjan Bajic s’empare d’objets ordinaires avant de les métamorphoser en animal cocasse.

Le canard de Kavallieratos déploie ses ailes, semble-t-il, pour devenir la tribune de ses congénères ailés. Les papiers mâchés de Laurent Le Deunff auraient émigré ici depuis leur territoire de dessin animé. Ils possèdent une bonhomie proche de celle des jouets d’enfance, ceux à partir desquels il est aisé d’inventer des histoires amusantes et amusées. Ils feront excellent ménage, apparemment, avec le chien en épingles polychromes de Béatrice Arthus-Bertrand.

L’ « Insondable richesse du for intérieur » que signe Laurent Baude surgit d’un massif, tel un cobra enjôlé par un flûtiste indien pour lequel il jouerait les périscopes inquisiteurs. Le lièvre de Barry Flanagan, avec sa dégaine caricaturale, on s’attend à le voir cavaler à toute allure à travers les jardins de la villa. Car, même en bronze, il conserve une légèreté de coursier hors pair.

Prodigieux

Au moyen de plumes soigneusement collectionnées, amassées, agencées, Kate MaccGwire a confectionné un reptile sans queue ni tête qu’elle a déposé, pour l’éternité d’un conte de fée, dans une cage de verre afin de le protéger des caresses que, irrésistiblement, nous avons désir de lui faire. Il arrive, en effet, que l’esthétique l’emporte sur la communication. C’est le cas encore pour Gabriel Sobin et ses empreintes de plumes à la cire d’abeilles. Leur aspect est fastueux autant que fascinant et ne le doit qu’à la matière naturelle.

Les gastéropodes apprivoisés par Jean-François Fourtou envahissent les murs d’un palier. Bien dressés sans doute, ils ne laissent nulle trace de bave derrière eux. Hikaru Myakawa a doté ses félins d’un bec qui les rend soudain davantage pacifiques que carnassiers.

Pascal Bernier a une vocation de secouriste. Ce Belge, en effet, ne se rend jamais chez un naturaliste sans une provision de bandes velpeau. À la moindre erreur de ce vétérinaire légiste, il panse l’animal post mortem. Mais il est aussi capable de nous donner le vertige en mettant en abyme par miroirs interposés la production forcenée d’un cheptel bovin.

La perruchette bleue, sortie elle aussi de chez un taxidermiste, animée par Delphine Gigoux-Martin, mène un combat de fable contre un volatile dessiné agressivement au fusain sur un mur. Moqueur, l’oiseau vert de Xavier Veilhan sort tout droit d’un manuel de géométrie pop up. À l’inverse, le gorille de Bamassi Traoré, avec son impressionnant assemblage de pièces métalliques usagées, suscite une dérisoire impression de robot passé sous les investigations d’un médecin légiste de la mécanique. 

 Amélie Giacomini et Laura Selliès, hantées par la métamorphose, associent un environnement sonore à des formes qui subissent le passage de la corporéité féminine à la géographie lieu, à l’instar des mystères d’ancestrales légendes. Les sirènes de Kiki Smith sont à la fois femmes et oiseaux. Elles appartiennent à ces mythologies où la relation reste étroite entre humains et animaux. Katia Bourdarel, en affirmant qu’elle est une louve, se retrouve carrément en plein dans les histoires d’autrefois.

Nicolas Darrot associe insectes et prothèses. Cette démarche, proche de la science-fiction ou peut-être d’une réalité en train de naître à travers des expérimentations plus ou moins occultes, a quelque chose d’ensorcelant. Comme si les créatures d’archaïques  légendes se concrétisaient pour une cohabitation étrange entre les humanoïdes et un monde animal hybride.

Philosophiques

En guise d’emblématique présence, la chouette du Flamand Johan Creten indique que la sagesse préside au rassemblement. Néanmoins, dans la mesure où elle est aussi liée au farceur frondeur et contestataire Tyl Ulenspiegel, elle demeure quelque peu équivoque. Le même sculpteur a péché des poissons qui portent la mort en guise de masque posthume.

Les cervidés en fer à béton de Didier Marcel se réduisent à l’idée de la silhouette de la bête. Ainsi, parfois, les idées de certains penseurs, restreintes à l’essentiel, deviennent claires pour n’importe quel quidam. Philippe Pasqua associe papillons, ces éphémères, et un crâne, inaltérable. Cauchemardesque sans doute. Quoi que très représentatif de notre bref passage sur terre.

Samuel Rousseau rappelle que l’art animalier date de la préhistoire. Cette pérennité de la création, il la concrétise par une transposition vidéo animée de peintures rupestres. Il affirme, derrière une forme plutôt ludique, que l’émotion d’une œuvre ne s’érode pas nécessairement au fil des siècles. 

Plutôt actif, l’animal en acier corten de Julien Allègre est rétif. Sa composition en morceaux assemblés, symboliquement rongée de rouille et réfractaire au toucher nous dit qu’il existe des êtres peu disposés à répondre à la douceur qu’on leur témoignerait.

Julien Salaud parie sur l’ambigüité du langage. Sa « Constellation du brocard » accepte les deux sens du second terme de cet intitulé. Il désigne celle/celui qui subit des railleries voire des injures ; il décrit également un chevreuil âgé d’un an. Son animal, recouvert d’un réseau de fils retenus à des clous plantés dans sa chair, a subi double violence : celle du chasseur qui le tua et celle de l’artiste qui prétend le transcender. Comme si l’art abolissait un tort fait à un innocent.

Jouant à son tour avec les mots, Céline Clairon forme une sculpture composite. Sa dentelle est ce qu’on appelle un ruché, col particulier porté autrefois dans certaines cours royales. Du coup, elle associe ce travail à celui des alvéoles d’une ruche dirigée par une reine. Cette comparaison entre deux pouvoirs distingue celui qui a besoin de paraître et donc d’apparat et celui qui produit dans l’ombre sans se soucier de reconnaissance car le vital dépend de sa vitalité.

Une fable racontée visuellement par Mamady Seydi parle d’une hyène en train de séduire l’être qu’elle baratine. La morale n’est pas dite. Elle est, comme toujours sans doute, une simple règle de vie ordinaire donnée en tant que leçon de conduite. Dimitri Sykalov, imitant les trophées de safaris qu’exhibent des chasseurs dans leur logis, place au mur un assemblage de caisses ayant contenu des munitions qui prend la forme métaphorique d’un grand fauve carnassier. Cette synthétique visualisation en dit davantage sur l’agressivité de nos congénères que des discours.

David Teboul inscrit en néon une phrase extraite de Freud disant que la tristesse apparente des chiens est un leurre et une vidéo en gros plan de l’un d’entre eux nous laisse à méditer ce que nous avons envie de déceler dans un faciès canin en train de nous fixer, les yeux dans les yeux. Quant à Stefan Rinck, il inscrit dans l’espace un totem de grés rouge propre à quelque méditation.

Écologiques

Alternant le lisse et le rêche, les terres cuites d’Evert Lindfors réinventent l’arche de Noé ; rassemblés en un troupeau, les animaux attendent de monter dans le navire qui les sauvera de la catastrophe écologique que nous provoquons depuis des décennies. La Fratrie (Karim & Luc Berchiche) invite à fuir un monde qui fonctionne avec des hauts et des bas vertigineux.

Art Orienté Objet (Marion Laval-Jeantet et Benoît Mangin) a tricoté une nouvelle peau à des animaux que nous ne cessons de persécuter et évoque la légèreté en vol de l’albatros silhouetté en néon, induisant ici un possible télescopage avec une ligne électrique haute tension. Cooper Jacobi propose une habitation protectrice des abeilles. Dion exporte un petit coin de paysage dans lequel végétal et animaux se retrouvent englués dans le goudron des sinistres marées noires.

Andries Botha relie aux cieux, grâce à un cordon ombilical métaphysique, un éléphant menacé par les massacres braconniers. Pour Rina Banerjee, originaire de Calcutta, le singe est un messager. Il est donc vêtu somptueusement. Deux exemples où l’homme se doit de protéger le règne animal et pas uniquement le sien. Ciris-Vell, sur un rocher imaginaire épargné par les polluants, rassemble des animaux mythiques venus se réfugier. Optimiste Antonio Gagliardi installe des maisons pour oiseaux en plein ciel.

Céline Cléron aligne des toises, de celles qui servent à mesurer la taille des humains. Seulement, celles-ci sont couronnées d’antilope, de pélican et de sanglier. Une façon d’induire, sans doute, une supériorité animale sur l’homme remis à sa place dans une évolution globale du vivant. Par ailleurs, sur un support rappelant une structure foraine de montagne russe, elle a étiré le squelette d’une couleuvre. Analogie possible d’une vie soumise à des aléas mais de toute façon destinée à la morsure d’une mort, en aléatoire sursis tant que la bête n’est pas venimeuse. Ce pourrait être une des agressives cannes de golf converties par Terrence Musekiwa en inquiétants reptiles.

L’ours d’Erik Dietman est planté au sol. Il est massif, statutifié en étagement de galettes métalliques épaisses. Il se présente immuable, inamovible, sorte de défi au temps, de résistance passive aux menaces contre les espèces telles que la sienne.

Victor Knud a conservé une ancienne cabine téléphonique. On y entend des sonorités naturelles susceptibles de nourrir l’imagination sans avoir d’autres images que mentales. Une façon de percevoir ce qui, sans réaction de l’humanité, risque de disparaître. Mais le plus impressionnant, par sa taille, ses coloris, est une tête d’éléphant de Bordalo. Elle est  entièrement agencée à partir de ces déchets plastiques qui restent majoritaires dans la pollution maritime et trouvent ici de quoi se refaire une beauté.

AU CAMPRÉDON

Guy Bourdin, praticien de l’artifice

Avec Guy Bourdin (1928-1991), d’abord photographe de mode, on est de plain-pied dans l’artifice, inévitable influence du milieu où il puisait ses sujets iconiques. Parmi les clichés sélectionnés pour le Camprédon, aucun, à de rarissimes exceptions, ne s’attarde sur un pan de nature. Les décors familiers sont soit de l’architecture, soit des intérieurs plus ou moins sophistiqués. Les personnes photographiées sont des femmes qui, de manière manifeste, posent.

Outre son attention particulière à la couleur, une des pratiques de Bourdin est la mise en abyme qui insère une image dans l’image. C’est une façon franche d’affirmer qu’il ne s’agit pas de réalité mais d’un transfert de celle-ci par le biais de la prise de vue argentique. Le procédé peut être complexe. Ainsi, telle photo noir et blanc d’une jeune femme déambulant, brandie par une main couleur chair aux ongles rougis, laisse deviner, sans la montrer, que, derrière elle, défile la même personne. Ou cet autre tirage qui paraît dissimuler l’identité d’une femme filmée dans la position provocatrice d’un entrejambe mis en valeur par un écart maximal des membres inférieurs.

D’autres photos sont plus simples. Elles se contentent de reproduire des clichés rassemblés en les mettant parfois en espace comme dans un pêle-mêle. Ou elles se mettent en scène, tel ce noir et blanc d’une fille en position de prisonnière attachée à un poteau, placardé lui-même sur un poteau fiché dans un sol de caillasse désertique. Circonstance qui induit une narration sous-jacente, une anecdote à raconter, une fiction à élaborer.

Cet aspect qu’on aurait tendance à qualifier de littéraire se manifeste assez souvent. C’est le cas de cette autre paire de gambettes de passage devant un arrière-plan de balustrade métallique ; elle est couplée sur le sol au premier plan par des morceaux d’affiche déchirée d’un visage féminin.

La présence de miroirs permet à Bourdin des effets d’apparitions issues du hors champ, des dédoublements. Il cultive volontiers l’étrangeté. Quelques tirages laissent percevoir des atmosphères proches de certaines toiles de Hopper. D’autres naviguent entre fantastique et surréalisme. La plupart affichent un érotisme glacé loin des fadeurs apparentes d’un Hamilton désormais honni. Loin également des provocations ou des subversions plus hard.

Un intérêt  supplémentaire de cette exposition est la mise en valeur des polaroïds. Ils sont un peu comme les esquisses pour un peintre. Ils donnent une vision moins préoccupée par l’artifice tout en conservant des thématiques identiques. 

AU CANTINI

Erwin Wurm, ironisant distordeur  

En dépit de l’étonnement d’être informé à l’accueil du Cantini qu’il n’existe au sujet de cette rétrospective ni dossier de presse ni de catalogue, les expos consacrées à l’Autrichien Erwin Wurm (Bruck an der Mur, 1954), éparpillées en ville, permettent de se rendre compte de l’importance de son œuvre pimentée d’humour.

À la Vieille Charité, le visiteur sera mis en présence d’une œuvre monumentale, spécimen de la malice de son créateur. Sa « Maison rétrécie » de 16m de long sur 7 de hauteur, n’a que 1m30 de large. Elle est la réplique raccourcie de la maison de ses parents. Elle signifie en trois dimensions l’étroitesse d’esprit des compatriotes de Wurm dans les décennies de sa jeunesse. Elle met mal à l’aise celui qui s’aventure à l’intérieur comme dans ces logements conçus à l’économie et dans lesquels les locataires se trouvent à l’étroit.

La suite  dans les autres musées est à l’avenant. Les objets abondent puisqu’ils ont, eux aussi, envahi le quotidien d’une majorité d’individus à travers les cinq continents où le système économique incite chacun à consommer le plus possible. Ce n’est pas innocent d’ailleurs si Wurm a affiché une sorte de journal intime d’une performance de 1993 consistant à manger en vue de passer « De la taille L à XXXL en huit jours », photos à l’appui.

C’est donc bien notre manière de vivre qui nourrit – le verbe est ici évidence – la créativité et la combativité de l’artiste. Il s’en acquitte avec un sourire enrobé d’ironie. Voici une ‘mini’ Austin qu’il a rendue obèse en modifiant avec minutie sa carrosserie. Voici une maison en résine bouffie et le célèbre musée Guggenheim en train de fondre comme les glaciers de l’Arctique.

Une architecture rose se boursouffle et se distend. Est-elle bâtisse ? paysage ? insolite mobilier ? Elle condense en son intitulé une part essentielle de cette pratique : « Perturbation ». Un revolver géant git au sol. Il est déformé par la trace d’un pneu qui aurait roulé sur sa masse, trace qui lui donne l’apparence d’une peau de serpent. Ici tout ce qui est faux est vrai. Comme ces meubles ordinaires figés en sculpture. Ou ces autres attribués à des artistes célèbres (De Kooning, Munch, Pollock…) mais montés ou installés en dépit de tout bon sens.

Il y a également ses célèbres « sculptures d’une minute », pièces mises à la disposition du public, sur lesquelles il lui est loisible de monter, dans lesquelles il est souhaité de s’investir corporellement, le temps de les faire exister autrement. Une bonne partie d’entre elles sont dispersées à travers les salles d’œuvres patrimoniales du Palais des Beaux-Arts. Sans omettre du papier peint à tapisser sur les murs en vue d’accueillir les visiteurs du Cantini avec une volontaire provocation dans le côté anecdotique des motifs reproduits à intervalles réguliers.

Les mots sont aussi source ludique. Il les peint parfois, les dit, les disperse. Il les prétend statues puisqu’ils sont dans l’espace. Il leur fait exprimer des absurdités ironiques au sujet de ses prédécesseurs, tel : « Un concombre juteux coincé dans la fente d’un Fontana rose ». Si bien que, finalement, Wurm, en se moquant, remet allègrement en interrogation des habitudes de vie quotidienne, des tendances à la consommation effrénée, des rejets ou des engouements versatiles à propos de l’art en général et contemporain en particulier. 

AU CARRÉ D’ART

Andujar, espiègle politique

À Nîmes, en lien avec les Rencontres photographiques d’Arles, Daniel Andujar (Almoradi, 1966) affiche ses photos détournées consacrées aux dirigeants politiques du monde. Et ce n’est pas triste. Poursuivant une pratique initiée autrefois par John Heartfield (Berlin, 1891-1968) contre le régime nazi, le photographe espagnol n’épargne personne, mort ou vif.

Tous les moyens visuels sont bons pour ridiculiser ou pour dénoncer ceux qui détiennent le pouvoir et ont tendance à en abuser. Lincoln possède le nez de Pinocchio. Hitler arbore une chevelure afro. Staline est en train de fondre de volupté entre les mains expertes de deux pulpeuses créatures. À moins qu’il n’arbore un look de rocker.

extrait du mur de photos d’Andujar au Carré d’Art.

Erdogan se voit les lèvres bandées d’un sparadrap en forme du signe ‘dièse’  pour rappeler sa main mise sur les tweets. Un micro rouge mal placé ou déplacé affuble Trump d’un nez de clown. Kim Jung-un est réduit au stade écolier nourri au chocolat glacé. Son portrait en gosse braillard est une pub pour un produit régulant la tension. Il lui arrive de faire un double doigt d’honneur en gros plan. Ce que fait à son tour le président syrien à la presse du monde entier.

Berlusconi est métamorphosé en pratiquant du yoga, avec comme injonction d’apprendre à maîtriser ses impulsions. Le même étale une mine gourmande alors qu’il lorgne vers le roman « Lolita » de Nabokov. Poutine a l’air presque pacifique avec ses cheveux de hippie flottant au vent. Il a l’air, par contre, décontracté et conquérant lorsqu’il commente l’actualité russe en tant que journaliste de CNN ! Ailleurs, il est paradoxalement dubitatif lorsque les rameaux d’olivier du logo de l’ONU lui font une ironique couronne pacifiste.

Voici Kadhafi aux lèvres cousues, Sarkozy enfilant des prothèses pour gagner en taille. Et ce dirigeant vénézuélien, bardé de décorations, il est monté sur un meuble, effrayé par une souris… d’ordinateur. Bush louche presque lorsqu’il aperçoit sur son nez une verrue dessinée comme une bougie d’Amnesty International. Que penser du même Bush passant les pouvoirs à Obama en lui donnant les dés (pipés ?) du hasard ? Ou de Khadafi agissant à l’identique avec le président français ?

Les mots jouent aussi leur rôle. Ainsi lorsqu’on voit El Hassad et le président russe entrer de concert dans la même salle, ce commentaire : « Connaître le fond c’est connaître l’histoire ». Rien de changé dans la citation mais cette fois, c’est Obama riant avec le pape. Drôlatique aussi de regarder un portrait de Mao tatoué de formes à la Batman s’étaler sur cette affirmation : « Le hard rock est la vraie révolution culturelle ».  À proximité, on le retrouve  maquillé en auguste au-dessus d’un slogan annonciateur de la liberté de chatter en Chine. Et ceci n’est qu’un échantillon des trouvailles caustiques d’Andujar.

Michel Voiturier

«Animaleries » à la Fondation Villa Datris, quai des Otages à L’Isle-sur-la Sorgue jusqu’au 3 novembre 2019. Infos : 0490 95 23 70 ou www.fondationvilladatris.com

Expos Erwin Wurm au Musée Cantini 19 rue Grignan, au Centre de la Vieille Charité 2 rue de la Charité et au Musée des Beaux-Arts  Palais Longchamp à Marseille jusqu’au 15 septembre. Infos : 04 91 54 77 75 ou http://culture.marseille.fr/node/613

« Leaders » au Carré d’Art, hall de la galerie Foster, place de la Maison Carrée à Nîmes jusqu’au 3 novembre 2019. Infos :   04 66 76 35 70  ou https://www.carreartmusee.com/fr/

Soyez le premier à commenter

Poster un Commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*


Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.