Biennale de photographie en Condroz, le coup de cœur de Caroline Lamarche

Xe Biennale de photographie du Condroz, © FluxNews

De pierre et d’eau

Le parcours proposé par la Biennale de Photographie en Condroz a emprunté cette année la vallée du Hoyoux, cette rivière tantôt calme tantôt ardente, autrefois terriblement poissonneuse, qui a recueilli les rejets de l’industrie avant d’être, autant que possible, réhabilitée.

L’édition 2021 s’étend sur un territoire qui couvre les communes adossées au Hoyoux, à savoir Clavier, Modave et Marchin. D’où le nouveau nom du Centre culturel (élargi à ses voisins) de Marchin : OYOU. Un nom qui claque en français comme en néerlandais, si l’on se contente des deux idiomes captés au long d’une journée aussi riche que sportive.

Intitulé judicieusement Nouvelles Vagues, le parcours propose une quinzaine de kilomètres à parcourir à pied ou en vélo, avec des haltes dans des fermes fortifiées, églises, maisons villageoises, mais aussi dans des lieux désaffectés, laminoir, scierie, arrêt ferroviaire, tunnel, carrières, forges. La brochure confiée aux visiteurs permet, au fil de textes fluides, de faire connaissance avec les photographes en leurs lieux d’exposition comme avec les points d’intérêt sur le parcours, carte à l’appui.

Nouvelles Vagues, donc, qui éclaboussent les hauteurs ou les berges de propositions en accord avec le paysage et son histoire. Pas étonnant qu’on y retrouve Maxime Brygo et son travail de longue haleine sur l’eau en terre liégeoise, mixant photos récentes et archives finement choisies, mais aussi Katherine Longly qui a mené un atelier avec des adolescents de la région, en une plongée qui nous initie à leurs lieux secrets de ralliement dans un environnement forestier.

J’ai arpenté à pied la quinzaine de kilomètres prévue, en réalité dix-huit avec les va-et-vient vers les lieux d’exposition, me précise un marcheur flamand qui dispose d’un compteur de distance sur son téléphone portable. Moi j’ai oublié de recharger le mien. Une journée d’évasion, donc, dans tous les sens du terme, sans écran ni messages – je n’ai même pas pu prendre de photos, c’est tout dire. Etrangement, en fin de journée, les souvenirs visuels en sont plus prégnants, comme si, privée de la possibilité d’un archivage compulsif, l’attention en redevenait plus vive.

Et puisque Lino Polegato, me croisant à l’heure où je boucle le tracé, me demande un coup de cœur au débotté, j’ai l’avantage d’avoir la réponse toute prête, comme si une image idéale surnageait de l’accumulation d’impressions non répertoriées dans mon fouillis smartphonesque.

– La carrière, lui dis-je.

J’aime les pierres, c’est un fait. J’aime les pans déchirés de nos collines mises à nu par l’exploitation de l’ardoise, du calcaire ou du grès et recolonisées par une végétation farouche. Ici, à la carrière Cuvelier, les vestiges en sont spectaculaires, comme arrangés exprès pour une exposition du chaos et de l’ordre à la fois : coulées régulières de gravier fin et blocs erratiques sur fond de falaises superbement martyrisées. Mais ce qui se trouve dans ce chaudron minéral, l’adéquation des propositions avec le lieu, est stupéfiant de beauté et de sens.

Au milieu, sur le plat, une sorte de container blanc et jaune, comme une cabine de chantier. Et, autour, un parcours de pavés enchâssés verticalement dans des supports de métal. On commence par le sentier sinueux balisé par ces photos imprimées sur ces pavés de grès, de ceux qui font nos trottoirs ou nos vieilles routes. C’est le travail d’Erika Meda, qui associe à la pierre des tirages en rapport avec la mer et des enfants qui nagent ou plongent. Je conseille aux lecteurs de Flux News de se reporter à la brochure de la Biennale plutôt que de s’embêter à me lire : les textes en racontent bien mieux que je ne pourrais le faire ce mariage aussi insolite que poétique, celui de la dissolution des images de l’enfance et de la solidité de la pierre qui en recueille les traces.

Dans la cabine de chantier, ou le container, bref ce qui pourrait servir aussi bien de refuge pour des carriers que de logement provisoire pour des victimes d’inondations, dans ce polygone blanc et jaune vif sur le gris de la carrière, on pénètre dans un lieu de destruction lié aux éléments. Plus exactement au tsunami de 2011 au Japon qui, en cet été marqué chez nous par les inondations, fait écho de manière poignante : l’eau encore, dans ses manifestations les plus terrifiantes. Mayumi Suzuki dit avoir connecté dans ce travail « notre monde avec le monde au-delà ». Un au-delà de la douleur et de la disparition, puisqu’elle a perdu, dans le désastre d’il y a dix ans, ses parents et sa maison d’enfance, en ce compris le studio-photo paternel. S’emparant des vestiges de l’album familial et de l’objectif abîmé de son père, elle a composé un ensemble d’une douce et tragique beauté, humble devoir de mémoire élevé sur les vestiges de l’absence.  

D’autres moments me resteront, bien entendu. Mais surtout l’émotion d’avoir suivi, en cet été où l’eau a tant détruit, une rivière amicale ponctuée d’émouvantes découvertes artistiques.

Caroline Lamarche

Xe Biennale de photographie en Condroz, édition 2021. 31/07-29/08/2021

biennaledephotographie.be

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