Beccarri : contes mythologiques d’une vie quotidienne

Beccarri : un univers olirique et quotidien.

Prix Wallonie picarde à la Maison de la culture tournaisienne 2013 et Prix du Hainaut la même année, Priscilla Beccarri, récemment sortie de l’Académie des Beaux-Arts de Tournai,  aime varier les supports. Sa dernière expo en atteste.

Bien que pluridisciplinaire, Beccarri (Menin, 1986) privilégie pour le moment le dessin. Chacun a  souvent l’air d’être sorti d’une plume, d’un pinceau ou d’un crayon hâtifs. Ils ne s’embarrassent  que des détails essentiels et graphiquement porteurs. Tous jouent avec une finesse patente qui leur accorde une élégance particulière. Celle de la délicatesse et peut-être même de la tendresse.

Leur apparente thématique se circonscrit autour de personnages et d’objets plus ou moins en situations. De prime abord, l’aspect est figuratif. Réaliste même. Quoique… À approcher son regard, il devient évident que cette réalité-là est nourrie d’imaginaire. Et c’est précisément ce va et vient entre le réel et le chimérique qui prévaut.  Qui intrigue et trouble. C’est que, si les apparences sont familières, le détail des choses et des êtres plonge du côté de la fantaisie, voire du fantastique.

Il y a une série de portraits. Tous se présentent comme hybrides. De ceux que les mythologies antiques nous ont rendus familiers. À part qu’ici, le croisement entre l’humain et l’animal se concrétise d’abord au niveau du visage devenu tête d’oiseau, ensuite et seulement parfois, aux pattes. Cet assemblage n’a rien d’artificiel comme le serait un masque de carnaval. Non, il se réalise naturellement dans le tracé même du dessin.

Sans cesse l’artiste nous emmène vers ces contes dits de fées qui bercèrent nombre d’enfances et où le merveilleux se mariait à la terreur.  Entre humour frondeur et  férocité, ses créatures semblent n’attendre qu’une histoire racontée pour y entrer. Y jouer un rôle, affronter des objets qui semblent agressifs avec les serres qui leur servent de pieds ou, plus subtilement, à l’instar de telle rémige dont le calamus a des allures de griffes impitoyables, devenue par là même une sorte d’allégorie de l’écriture ou de l’écrivain, du dessin ou du dessinateur aux phrases ou aux traits acérés.

La femme apparaît synthèse de la belle et la bête, au sens animalier du terme. Elle est de la même essence que le sphinx. Mais, plus prosaïquement, notre façon de vivre actuelle en a fait aussi une créature réduite à être objet ; c’est ce dont témoignent ces ménagères dont le visage est marmite ou balai ou celle dont l’occupation consiste à passer un fer à repasser sur ses jambes, probablement pour les rendre présentables selon les critères de beauté du moment.

Dans les œuvres qui paraissent dotées d’un aspect narratif, l’étrangeté des sujets se conjugue avec un désaveu  particulier de la perspective. Ses lois bouleversées semblent permettre aux vivants et aux inertes de se situer au sein d’une espèce d’apesanteur onirique. De plus, le traitement de certains papiers, jaunis au moyen de vernis, leur donne un aspect de vieillissement et leur coloration prend des allures de clarté issue de la matière.

Le tridimensionnel s’évade lui aussi de l’utilitaire. Des cintres en fil de fer sont suspendus en l’air et les torsions imposées par Priscilla leur confèrent le statut d’envol de migrateurs. Vers où ? Sans doute vers les pages d’un des livres de Selma Lagerlöf, des séquences d’un des films d’Alfred Hitchcock, un des couplets d’une chanson de Jean-Michel Caradec où les oiseaux volent à l’envers.  Des vêtements d’enfants les accompagnent, délivrés de toute pesanteur.

Au sol, sur un séchoir porte-linge, des collants pour fillettes, emplis de chair virtuelle, pendent comme en attente d’un corps qui les complèterait.  L’artiste renoue de la sorte avec la thématique des jambes qu’elle a déclinée naguère. Elle demeure donc dans une recherche où le corps, son apparence physique donnent  lieu à des associations susceptibles de le métamorphoser, de s’approprier des éléments insolites les reliant au fabuleux.

Michel Voiturier

« Un joli nom d’oiseau » jusqu’au 18 octobre à l’ISELP, 31 boulevard de Waterloo à Bruxelles. Infos : 02 504 80 70 ou http://iselp.be/fr/expositions/priscilla-beccarri

Catalogue : Jacky Legge, Catherine Henkinet, « Priscilla Beccarri », Bruxelles-La Louvière, Iselp-Province de Hainaut.

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