Are We in the show ?

Kisses, 2006, Autocollant en vinyle Courtesy of the artists and LMNO, Brussels - Picture : Dirk Pauwels S.M.A.K., Ghent, Belgium

Jusqu’au 30 mai prochain, l’exposition de Denicolai et Provoost est à découvrir au S.M.A.K à Gand. On ne saurait engager ceux qui ne l’auraient encore parcourue à s’y précipiter tant celle-ci y est magistrale. Elle réussit à déployer tous les enjeux d’un travail éminemment politique et puissamment collectif. Ouverte et inclusive, la traversée offerte par le duo et leurs curateurs donne l’amplitude d’une démarche artistique résolument pensée comme concept actif. Rencontre avec Simona Denicolai et Ivo Provoost autour de leurs process et modus operandi.

D’emblée, je souhaite interroger le titre de votre nouveau court métrage d’animation Hello, are we in the show? qui est aussi le titre de votre exposition augmenté de la parenthèse (comment voir là même autre chose). Pouvez-vous en expliciter le sens et les enjeux qu’il porte au regard du court métrage lui-même et de votre exposition ?

Au niveau du film, il s’agit pour nous d’interroger qui est le sujet du film et la manière de le mettre à l’écran.  En effet, dans le film, l’humain n’est jamais présent à l’image mais sa présence est manifeste en tant que point de vue de l’observateur, manifeste aussi par le son, dans l’animation des actions vis-à-vis des animaux comme le dépôt de noix pour les écureuils ou le jet de cailloux etc…. Il s’agit pour nous de poser le fait que tous les vivants interagissent, s’entrecroisent au même titre et, au final, de questionner ce qui est central dans cet écosystème. Qui est dans le show ? Qui est regardé ? Qui est sur la scène ?  Qui fait quoi et quels sont les rôles ?  Une manière pour nous de mettre humain et non-humain au même niveau d’interaction mais sous la forme d’une question.

L’exposition s’est construite autour du film d’animation dont le S.M.A.K. est l’un des coproducteurs. L’ajout de la parenthèse souligne le fait que cette exposition vient proposer une manière de voir différemment. C’est en effet, au cœur de notre travail de postuler que tout est déjà là. Que mettre les contextes dans d’autres scénarios engendre une manière différente de voir l’existant. Il s’agit de pointer que c’est la même chose mais tout en étant autre chose. ‘Là même autre chose’ pointe aussi le potentiel du regard collectif. Ce qui a bien entendu à voir avec notre processus de travail et avec l’exposition que nous proposons, ici, au S.M.A.K.  

Celle-ci donne à voir un aperçu significatif de plus de 20 ans de production. Qu’est-ce qui a présidé au choix des œuvres qui donne à mon sens et puissamment toute l’étendue des enjeux politiques de votre travail? Comment a été pensé le display de l’exposition qui en construit une traversée magistrale ? Et enfin, cette exposition a-t-elle été conçue telle une rétrospective ?

Nous ne l’avons pas pensée en termes de rétrospective. Il s’agit plutôt d’un solo show qui propose une série d’œuvres existantes mais aussi une série de réactivations qui font sens et particulièrement sur les questions socio-poétiques spécifiques qui sont révélées par les différents contextes qui nous traversent. Le mot rétrospective est pour nous trop associé à quelque chose de conclusif hors, l’exposition que nous avons conçue avec Philippe Van Cauteren et Tanja Boon est, tout au contraire, une proposition active, hors de tout parcours chronologique.  Le noyau central en est le film d’animation. La sélection proprement dite découle des questions soulevées par le film. En premier lieu, la question de méthodologie face aux mondes qui est sous-jacente à l’ensemble de notre production.  Mais encore, la question contextuelle, la question de l’espace public: comment on le traverse, le digère, le transforme. Il s’agissait aussi de donner à voir les choses autrement d’où la présence de travaux à scénario, à protocole.  Il y a aussi une salle importante en fin de parcours réalisée à l’initiative de Tanja Boon et consacrée aux maquettes de projets en cours ou non réalisés, aux pistes de réflexion. On y retrouve tous les enjeux à l’œuvre dans le travail mais au stade de potentialité. En soit, pour nous, les formats institués de la rétrospective, du musée et du catalogue sont à chaque fois à réinventer.  Ainsi, le catalogue1 de l’exposition est un format questionné. Il prend ici littéralement la forme d’une version imprimée de notre site web (soit 1.246 pages n/b portant la trace de toutes les erreurs de transfert, perforées et emballées à la manière des copyshops). Pour l’exposition proprement dite, nous voulions éviter le côté « célébration » avec laquelle nous ne sommes pas tout à fait à l’aise. Le choix du revêtement vert de type Pirelli de la première salle, nous est apparu comme une évidence dans ce qu’il proposait comme connexion immédiate avec l’espace public. Il s’agit aussi d’une salle qui propose d’emblée une série d’œuvres actives durant l’exposition et, dès lors, directement connectée avec l’extérieur du musée : Eyeliner, Gent (2020), More (2014), Tien taarten –Ten Cakes (2018), activée tous les dimanches matin, Uitburgeren, baby ! (2010) dont la performance aura lieu le 24 avril dernier.

Chaque geste que nous posons est intrinsèquement politique mais cette exposition permet sans doute de rendre manifeste l’étendue de cette dimension puisque c’est la première fois que nous montrons plusieurs travaux dans une même exposition2. Il s’agissait aussi pour nous dans l’élaboration de ce projet et, toujours, dans les travaux eux-mêmes d’en penser un accès le plus ouvert possible. Le S.M.A.K. est en cela un outil idéal vu qu’il s’adresse aussi au grand public. Cette exposition est une confirmation que notre travail peut s’ouvrir à un public plus large que celui de l’art contemporain ce qui est un enjeu majeur pour nous.

Vos travaux ont généralement pour origine des protocoles, des scénarios et ce que vous aimez appeler des « collaborateurs ». Pouvez-vous en expliciter l’essence et la nécessité dans votre processus de travail ?

Comme le travail est toujours contextuel, travailler avec les habitants du lieu, l’histoire du lieu… est une nécessité dans l’émergence des formes à naître.  Pour nous, l’exercice est à chaque fois de questionner notre art, ce qui va pouvoir faire art et opérer dans ce contexte particulier. L’interrogation porte aussi sur ce qui va pouvoir être partagé avec une population qui n’est pas forcement familière avec le milieu artistique.  La relation avec les « collaborateurs » est éminemment importante car elle nous permet d’avoir accès à différents mondes.  Il s’agit aussi pour nous de faire descendre l’art de son piédestal et de ne jamais l’y mettre, de confronter le geste artistique avec le monde tel qu’il est. Il s’agit aussi de toujours en apprendre davantage et c’est ce qui donne l’épaisseur à ce qui se réalise finalement en bout de processus. Les « collaborateurs » sont aussi souvent des personnes qui possèdent un savoir et un savoir-faire que nous n’avons pas et c’est dans la complémentarité de ce que chacun apporte que les formes naissent. On aime beaucoup donner un rôle actif à chacun.

Tien taarten –Ten Cakes (Genk, 2018), par exemple, interroge l’usage et la signification des monuments. Comment pouvons-nous repenser l’acte de commémorer? L’histoire peut-elle être insufflée dans le quotidien de nos villes actuelles ? Comment pouvons-nous donner forme à un « objet » reproductible sur demande et, pourquoi pas, comestible ? Nous avons conçu dix gâteaux, en tant qu’instruments réactivables de commémoration, en tant qu’’agent de liaison’ possible lors de cérémonies publiques ou privées. La forme de chaque gâteau est le fruit d’un dialogue avec les parties prenantes, personnes ou associations, qui avaient introduits une demande d’érection de monument (non encore réalisé) dans l’espace public à la Ville de Genk. La forme des gâteaux n’est pas le travail en soi. L’essentiel du travail est le processus de dialogue mis en place. Une manière d’introduire notre pratique est régulièrement de partir de la légende sans en donner l’image. Celle-ci n’émergera qu’à partir du dialogue noué sur le terrain, étant entendu que la forme qui émerge appartient à chacun. Proposer un gâteau comme outil de commémoration aux membres des réseaux de résistance qui ont du mal à être reconnu en Flandre pour des raisons politiques est dès l’abord difficile à faire passer.  En effet, d’emblée, pour eux, le gâteau était une forme trop légère et trop ludique au regard de l’histoire qu’ils entendaient mettre en lumière.  L’enjeu a été pour nous de dialoguer, d’échanger, de donner accès et permettre à chacun et à sa façon d’appréhender les enjeux sous-jacents de cette proposition notamment les notions de digestion collective du passé, de réédition possible pour chaque cérémonie commémorative, etc…Assister à ce point de basculement, au déclic de l’appropriation de la proposition est toujours magique pour nous.

La suite de l’entretien est à retrouver dans le prochain Flux news qui paraîtra à la mi-mai 2021.

Entretien réalisé par pascale Viscardy le 29 mars 2021

Denicolai & Provoost

Hello, are we in the show ? (comment voir la même autre chose)

S.M.A.K

Jusqu’au 30.05.2021

https://smak.be/nl/tentoonstellingen/denicolai-provoost

10 Hors-Champs in the show

Galerie LMNO

Du 29.04 au 19.06.2021

http://www.lmno.be

in

Bye Bye His–Story, chapter 5050

Centre de la Gravure et de l’Image imprimée

Jusqu’au 26.09.2021

Edité par MOREpublishers

Mis à part dans l’exposition collective Yes we don’t, curatée par Joël Benzakin et Nathalie Ergino, en 2011 à l’IAC à Villeurbanne

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