A l’annonce du décès d’Alain Resnais, des dépêches, des réactions empreintes de respect. Enormément d’inconnus qui se sont mis à écrire, à envoyer des mails en se gardant de prêter attention au risque qu’ils couraient ainsi de casser la boussole cinématographique. Heureusement qu’ils ont poursuivi dans cette voie, car c’est finalement grâce à eux que Resnais a été honoré pour la grâce de ses intuitions, pour la puissance de la vision qui fut la sienne. Et pour la connaissance minutieuse qu’il avait de nombre d’aspects de l’histoire du cinéma, en géant de la profession qu’il avait été. On a reconnu le dramaturge inspiré, l’ennemi de la fadeur, l’aventurier de l’audace formelle qui avait la précision d’un horloger sur les plateaux où, le désir avant tout de se vérifier et de se contredire l’emportant sur le spectacle, l’esprit germait, croissait librement, était la récolte inscrite dans des plans qui savaient concilier virtuosité syntaxique et rigueur vaillante, osée. Et il vient le réflexe, par suite de cela, de considérer la fin de cet hiver 2014, qui signa sa mort, comme l’épreuve d’un arrachement plus que d’un deuil et d’un adieu. Il est de ces points de butée inévitables, mais qui ne vous brisent pas.
« Hiroshima mon amour, c’est notre jeunesse. La mienne, la vôtre. C’est la jeunesse dans la vie et la jeunesse du cinéma. » Cette déclaration est de Dominique Noguez, et les repères qu’elle donne s’accordent mesure pour mesure à ce qui jaillit d’intact et d’irrésistiblement passionné dans le souvenir du film que Resnais mit en scène en 1958- avec le sens du dépouillement que l’on sait être chez lui lié à l’obsession d’une continuité, sa veine majeure. Noguez s’exprime de la sorte dans une publication parfaite, éditée il y a peu, hommage magnifique au réalisateur, et qui, tant au niveau de l’équilibre texte et photographies qu’au niveau du soin apporté à l’habillage, entame un examen sensible et original du voyage qui l’emmena au Japon. Il était alors entouré du meilleur de la production française, maintenant une tribu décimée : tous ces protagonistes allaient comme on dit faire bouger les lignes, à l’escale. Les clichés – du noir et blanc de l’espèce la plus fascinante pour qui aime le toucher des tirages anciens – sont dus à Emmanuelle Riva, l’actrice obscure et demain célèbre, la femme que la fiction inventée par Marguerite Duras charge du poids d’un attachement inavouable. Une des raisons qui font que l’album réussit brillamment à allier candeur et découpes dans le passé tient à l’absence de flou quand surgit la silhouette de Resnais, une silhouette qu’on jugerait adolescente et qui sur le front et les épaules laisse éclater tant d’intelligence que l’on outrepasse gaiement l’anecdote que comporte la situation. Il marche. Il s’est arrêté de marcher. Il pose entouré de son équipe, principalement des Japonais. Il mène à bien toutes choses. Le voici à bord d’une barque, avec Riva, partant vers l’île de Miyajima : le cinéaste déchiffre l’immense tête de dragon ornant la proue : on se le représente sans peine qui à un autre moment déchiffrerait les éléments épars de son film en cherchant à simplifier leur langage et à les rapprocher le plus possible de lui.
Aldo Guillaume Turin
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