Aldo Guillaume Turin, chronique (Flux News # 63) : Pier Paolo Pasolini

La cinémathèque française a proposé, fin 2013, à son public de mieux comprendre quelle fut la réduction qui s’opéra sur la personne de Pasolini, et ce à partir de son arrivée à Rome en 1949, un symbole d’échec et de honte pour ceux qui bientôt allaient se déclarer les ennemis du poète. Plongeant dans la pauvreté, nu devant ses pairs, il se passe que le déni d’appartenance à soi, revendiqué par les plus nombreux en pleine montée néo-fasciste, va le pousser au centre de l’arène sociale. Pour un peu on le taxe d’anticonformisme pathologique. Une vague de haine se lève autour de lui, qu’il évite de prendre au premier degré, ce qui lui coûtera d’examiner dorénavant son esprit avec une acuité de plus en plus fine, de publier des libelles, des éditoriaux offensifs. Il apprend ainsi à se libérer de tout accessoire esthétique et il constate, triste et rageur : « J’ai fui avec ma mère et une valise et quelques joies qui se révélèrent fausses… » Alain Bergala, co-auteur du catalogue au beau titre de Pasolini Roma, affirme que la ville des villes, pour lui, « n’a pas été un décor ni un simple lieu de vie. » En échange d’une attente désespérée, Pasolini passe derrière la caméra, mais comme si les splendeurs qui l ’entourent ne comptaient pas, ou comme si le Colisée et les ruines aimées par Stendhal ouvraient seulement sur un fond qu’en eux-mêmes les gens de peu, les gens des borgate aujourd’hui rasées et où l’exilé promenait sa tendresse frondeuse, mêlaient à leurs songes, leurs angoisses, avant le désastre. Pas le sien, pas celui de Pasolini, non, celui qui rend inutile, suicidaire, l’empoignement avec le faux-semblant qu’il combattit, de nos jours le modèle global, indifférencié et proliférant qu’avantage le capital spéculatif, bien au-dessus de Rome. Et bien au-dessus de l’obstination à inventer un cinéma du sacré, ainsi que lui-même le définissait, de la part d’un adepte de la « langue de la Réalité » – expression demeurée juste, nulle autre n’attestant le fait de s’en tenir à la traduction des sentiments et des choses. Le parcours auquel engageait la Cinémathèque parisienne – choix de missives, albums de famille et annexes, listes des procès intentés à Pasolini pour obscénité ou insulte à la religion – illustrait de façon discrète et cohérente ce que Rome lui apporta, modifia dans son imaginaire. Les quartiers qu’il habita, les contextes, les rencontres avec Laura Betti, Bernardo Bertolucci, Maria Callas, Alberto Moravia en prennent des couleurs que n’affaiblit aucunement la violence du cliché de 1975, une plage à l’aube, une étoffe couvrant Pasolini assassiné.

Aldo Guillaume Turin

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