5O’S AIR COLOR

Saul Leiter, né à Pittsburgh, fils d’un rabbin, a commencé ses photographies au début de années 40. Il arrive à New York à 23 ans. Il se lie vite d’amitié avec des photographes comme l’incroyable Eugene Smith ou le peintre Richard Pousette-Dart. S’il utilise l’appareil photo, c’est davantage les Nabis que Leiter a à l’esprit. Il réalise des photographies en noir et blanc dont quelques-unes seront sélectionnées par Edward Steichen pour l’exposition Always the Young Stranger au MoMA en 1953.

1948, il expérimente, la couleur commence à apparaître et fait alors partie de l’architecture de son image, au même titre que le jeu des traits et des masses. Saul Leiter prend les rues de sa ville en photo mais sa démarche n’est pas documentaire. L’atmosphère de la ville est assourdie, étrangement immobile. Les corps sont présents mais l’expression des visages pratiquement jamais lisibles.

Le rythme créé par les couleurs et les matières met en avant plutôt une impression d’isolement, ou du moins de songerie. Le chromatisme de certains objets de la vie citadine et industriel sature, tandis que l’arrière-fond impose des teintes plus ternes, doucement ocres, voilées par les poussières de la pollution, ou des flocons de neige. Certaines formes s’évanouissent dans la buée, tandis que d’autres éléments aux contours bien nets viennent s’imprimer par dessus. Le style du photographe emprunte à la peinture mais également au collage. Les plans se juxtaposent, se répètent, parfois même côtoient l’abstraction.

Les typographies et les corps sont tronqués, disloqués et réassemblés. Pour la recomposition de ses espaces, le photographe fait avec ce que lui proposent les reflets et les ombres. Ce style de découpage hardi peut se retrouver chez le virevoltant Louis Faurer, mais Leiter lui ne s’approche pas réellement de ses sujets, ils apparaissent presque uniquement comme des silhouettes lointaines, retaillées, noircies, figées comme des natures mortes. Contrairement au New York de Weegee, théâtre des passions qui ne donne lieu qu’à des représentations absurdes et exceptionnelles, hors du commun, la vision posée de Leiter ne photographie pas l’évènement en soi mais un passage, presque un frottement, elle ne livre pas la personne en soi mais l’anonyme. Cela ne l’empêche pas de diffuser un léger parfum surréaliste à travers un environnement censé être quotidien et familier.

Le photographe travaillera pour le magazine de mode Harper’s Bazaar, comme Martin Paar. Ses images balancent entre légèreté et mélancolie, elles s’offrent la possibilité d’investir différentes approches. Feutrées, embrumées, isolées de l’agitation avec ces larges zones de monochromes éraflés, les flâneries photographiques de Saul Leiter captent un climat esthétique qui n’appartient qu’à lui – cette façon astucieuse d’accueillir l’aléatoire qui donne un peu d’air.

Anna Solal

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