Poppe-Rolet : le paysage transfiguré

Paysage réinventé par Popp et Rolet © Michel Peetz

Au fil des années de vie commune, ce duo composé de deux plasticiens très différents quant à leur pratique artistique, a peu à peu apprivoisé leurs divergences formelles en complicité quasi fusionnelle. L’expérience qu’il/elle tentent en est la preuve étonnante.

Au début, un peintre paysagiste était là pour transmettre la nature, pour en transporter l’image chez des gens vivant ailleurs dans un autre décor naturel. Lors de la révolution impressionniste, il n’a plus été question de reproduire les apparences mais de traduire des sensations, d’évoquer des perceptions. C’est bien dans cet état d’esprit que le couple tournaisien wallonflamand situe son travail le plus récent.

Le point de départ de la plupart des œuvres semble être une photo. Il y a donc là une image fidèle à la réalité perçue par la vue. À l’arrivée, il y a une transfiguration qui doit tout aux techniques employées dont certaines sont de l’ordre du secret puisqu’elles ne sont ni perceptibles, ni expliquées. En dehors de certains ponçages appliqués au document initial, le reste demeure alchimie personnelle liée à la qualité des fusains, des crayons, des pinceaux, des encres ou des pigments et à la manière de les apprivoiser.

Sur ces ingrédients, la lumière intervient pour transmuter cette matière très concrète en quelque chose d’impalpable, de ténu, de délicatesse au point que lorsqu’il s’agit de photographier ces tableaux pour illustrer un article, par exemple, il y a alors une perte énorme de cet imperceptible détournement de la trivialité du réel brut qui transcende l’ensemble de manière inexplicable. Seuls les originaux possèdent le pouvoir de l’art d’exprimer l’inexprimable, de parler à la sensibilité plutôt qu’à la seule intelligence.

Le réalisme est ici essentiel. Mais il est devenu autre. Il n’y a d’ailleurs pas recours aux règles régissant l’illusion de la perspective et cependant rien n’est plat. La dureté et la massivité des pierres des carrières du Tournaisis perdent leur lourdeur sans portant renier leur identité. Les nuances d’un sol où se mêlent terre, cailloux, végétation s’approprient une présence inédite. Des embruns d’une vague en mal d’estoc balaient l’espace. L’air lui-même donne l’impression d’être peint en dehors des densités des masses nuageuses. Les arbres, ces peupliers si prolixes sur certaines berges de cours d’eau, se révèlent écriture rythmique de l’espace.

D’ailleurs, la présence humaine, fréquente d’une œuvre à l’autre, s’affirme sans dénaturer la perception d’ensemble. Pas question d’une domination d’un univers sur un autre. Tout au plus est-ce un repère de proportion, l’esquisse d’une action vivante. Il arrive que cette ‘intrusion’ nous ramène vers une sorte de discours anecdotique. La tentation de raconter une histoire est alors latente. Ce que dirait alors un écrivain se concentrerait sur des notions de destinée plutôt que sur des broutilles de quotidien.

Le noir et blanc se taille belle place. D’autres couleurs, en général diluées ou transparentes, conditionnent la variété naturelle du monde. Sporadiquement appliquées par quelques rares touches plus brutales, quelques autres viennent suggérer des variations de remous météorologiques ou sismiques, voire l’une ou l’autre cicatrice écologique. Les formats vont de la miniature jusqu’à l’imposante surface d’un kakémono géant suspendu en dessous d’un plafond, accompagnés de formats qui s’articulent autant sur l’horizontalité étirée que sur une verticalité élancée. Cet univers ne reconnaît pas les villes, les architectures colonisatrices de territoires. Il s’attache au cœur du vital élémentaire. Il nous ramène vers l’essentiel que nous avons depuis si longtemps appris à négliger.

Michel Voiturier

« Le grand théâtre » de Véronique Poppe et Christian Rolet, Galerie Détour, rue du Bourgmestre Materne 166 à Jambes jusqu’au 5 octobre 2024. Infos : 081 24 64 43. https://www.galeriedetour.be/actuelle/

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