Orla Barry / Ariane Loze – Faire société

Orla Barry, vue installation MACs

            Fin juin, deux femmes artistes aux personnalités affirmées ont pris leurs quartiers au MAC’s pour y présenter un florilège de leur travail qui, sans se ressembler d’aucune manière, place toutefois l’engagement personnel aux prises avec la communauté – et par extension avec les mécanismes de spéculation – au centre de leurs discours respectifs. Aussi jouissive que déroutante, cette double exposition présente une pluralité d’écritures et de voix qui abordent avec un certain cynisme, beaucoup d’humour et une grande acuité différentes thématiques sociales et sociétales qui traversent la vie des deux artistes, entraînant dans leur sillage un ensemble de questionnements sur l’art, le travail, l’économie et l’écologie autant que sur l’existence elle-même.

« Ne pas être dans l’action, c’est vrai que c’est presque un geste révolutionnaire aujourd’hui »

Ariane Loze, Otium, 2019

Le travail d’Ariane Loze, artiste performeuse et vidéaste belge, ayant été longuement abordé dans une interview menée par Florent Delval et parue dans le Flux News #94, le focus sera porté ici sur la pratique d’Orla Barry.


            Depuis plus de dix ans Orla Barry mène une double vie en Irlande, celle d’une artiste plasticienne devenue propriétaire et éleveuse d’un troupeau de moutons Lleyn. Véritable adepte du circuit court, cette dernière puise au sein de cette seconde activité à temps plein – dont elle a appris les codes à force de persévérance – la matière et les ressources mêmes de son travail artistique, transposant ses expériences  tragicomiques et son fort attachement pour son cheptel en un récit multiforme résolument poétique et engagé. C’est ainsi que « Shaved Rapunzel & La Petite Bergère Punk », titre que l’artiste a donné à son exposition, pose les bases de ce qui va suivre : une immersion dans un quotidien rude et solitaire, qui met à mal les présupposés attachés à la notion de féminité, dont Orla Barry livre un condensé joyeusement impertinent et fantasque mêlant anecdotes vécues, constructions imaginaires, emprunts issus de la culture populaire et détournements, magistralement mis en scène dans sa pièce d’ouverture, Spin Spin Scheherazade (2019). Comme l’explique très bien Sebastian Cichocki dans le catalogue de l’exposition publié à cette occasion, « [on] peut considérer Spin Spin Scheherazade comme la monographie oralisée de Barry mettant en scène des motifs qui interviennent fréquemment dans son travail : le langage comme « matériau », les sociétés non humaines, l’abandon du concept de nature compris comme dissocié de la « culture humaine », la mort et le métabolisme, le travail en tant qu’art et l’art en tant que travail ». Et de poursuivre : « Le travail de Barry – qui « se réalise » entre la ferme et le musée – est un modèle de mise en œuvre entre disciplines, de renforcement mutuel et d’interpénétration des deux sphères. […] Les questions relatives aux délimitations entre ce qui relève de l’essentiel, de l’utile, voire du nécessaire, et ce qui est (à peine) un décor, une métaphore, une représentation, ne sont pas seulement insignifiantes, mais secondaires. » Cette première salle, dense en termes de symbolique et de contenu, nous plonge d’emblée dans l’univers de l’artiste à travers l’écoute et la lecture de ce que l’on pourrait appeler des extraits de son journal personnel, côtoyant pour l’occasion un ensemble de bâtons de berger personnalisés que l’artiste a façonné elle-même ainsi qu’une vidéo de séquences filmées lors de concours ovins, dont certains usages et critères ne sont pas sans rappeler ceux dictés par le marché de l’art. S’ensuit, au sous-sol, une proposition visuelle et sonore qui présente, elle aussi, une attention portée envers le langage et la typographie mais se distingue de la précédente de par sa verve hautement électrique voire hypnotisante. La seconde partie de l’exposition fait se dialoguer plusieurs productions récentes qui, chacune dans leur singularité, interrogent les liens qui unissent et désunissent l’activité humaine au monde naturel, tout en appuyant le propos sur la fluctuation des valeurs accordées aux “marchandises” dans une société qui prône une compétitivité toujours plus accrue dont la pièce maîtresse est assurément la sculpture The Shepherd’s Warning réalisée pour l’exposition. De cet état de fait déplorable, l’artiste répond de manière satyrique en détournant  les codes de la statuaire classique, d’ordinaire réservée aux chefs suprêmes des armées, en se représentant sous les traits d’une sirène – créature légendaire féminine par excellence –, assise sur le dos d’un mouton, symbole de la domestication humaine, pour attester du caractère charognard de sa nature artistique, qui naît de la digestion d’éléments aux provenances diverses, à l’image des logiques capitalistes qui régissent et asservissent nos existences. Ce riche exposé prendra corps et voix l’après-midi du dimanche 06 octobre, avec l’activation performée de l’installation Spin Spin Scheherazade d’Orla Barry qui se jouera à 14h, suivie de la performance Le Banquet d’Ariane Loze (16h / 16H30 / 17H) : un rendez-vous avec les deux artistes à ne manquer sous aucun prétexte !

Clémentine Davin

Oral Barry / Shaved Rapunzel & La Petite Bergère Punk

Ariane Loze / L’Archipel du moi

23.06 > 03.11

MAC’S – Musée des Arts Contemporains au Grand-Hornu

Rue Sainte-Louise, 82

7301 Hornu

www.mac-s.be

Expositions accessibles du mardi au dimanche de 10H à 18H

DIMANCHE 6 OCTOBRE

Journée gratuiteInfos : +32 (0)65 613 902 / reservations@grand-hornu.be / Inscriptions en ligne

PROGRAMME :
11h : visite guidée des expositions Shaved Rapunzel & La Petite Bergère Punk d’Orla Barry et L’Archipel du moi d’Ariane Loze
14h : performance Spin Spin Scheherazade d’Orla Barry
16h | 16h30 | 17h : performance Le Banquet d’Ariane Loze

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