La galerie Christophe Gaillard (Paris) a présenté du 21 mars au 4 mai 2024 une première exposition de Philippe Vandenberg (Gand, 1952_2009), en collaboration avec l’Estate Vandenberg. Comme précédent parisien, une présentation commune à l’initiative de Berlinde de Bruyckere a eu lieu en 2014 à la Maison Rouge, Il me faut tout oublier, où les mots du peintre percutaient les corps de la sculptrice. Ici, l’étendue de l’é(cri)ture déploie singulièrement une forme violente pour une passion de la peinture, submergeant, Dada, le lettrisme et une culture punk.
La peinture de René Magritte sous-entend que l’image et le mot ont une valeur équivalente et que la représentation iconique tient lieu de la textuelle pour accueillir des soubresauts inconscients qui par volètements font éclore l’imaginaire. Ainsi, les surfaces donnent réciproquement à lire pour voir autrement des tautologies apparentes qui opèrent par retranchements de sens contradictoires.
Des écritures, chez Philippe Vandenberg, il en va différemment. Chaque œuvre présentée contient une expressivité dont la portée a une valeur d’événement. La galerie montre une douzaine de peintures, sur toile, mais également des papiers et des volumes en carton posés sur des socles de fil métalliques.1
Le texte prévaut sur une intelligibilité et il valorise une ampleur scandée qui déborde et crée des concordances avec des artistes modernes et contemporains qui ont recouru à la lettre picturale. Le dramaturge Philippe Vandenberg convoque les ombres de ceux qui ont pensé avant lui l’écriture comme action subversive, pour et contre la peinture, à commencer par Francis Picabia, dont les titres présents sur les tableaux relèvent de l’affichage séditieux. Nous pensons également à la rhétorique mythologique et scatologique des graffiti de Cy Twombly qui résonne dans cette exposition, tout comme les collages de Raoul Haussmann, les envolées sonores de Kurt Schwitters, l’expression libertaire de Maurice Lemaître, la peinture de Walter Swennen, mais aussi, le second single des Sex Pistols, God Save the Quenn, dont la pochette fut conçue en 1977 par Jamie Reid. Nous savons combien l’histoire était indispensable pour le peintre qui œuvrait avec le continuel souci d’articuler une activité solitaire aux faits de culture et de société.
L’écriture picturale chez Philippe Vandenberg n’est pas accidentelle, ni fortuite, et s’il se déprend des conditions normales de lisibilité, celle-ci est le fruit du travail continu de la peinture avec la structure des lettres, considérée comme une trame d’inventions pour des répertoires géométriques et plastiques. Il compresse, élargit et superpose. Il en modifie l’interlignage, l’interlettrage et la linéarité. L’artiste joue de leur morphologie et convient de ses propres règles pour additionner de la couleur aux formes, en surfaçant par exemple, l’espace fermé de quelques lettres, pour boucher, éclairer ou bien profiler, par dessus dessous, le commencement d’autre chose.
Nous retrouvons cette créativité empirique et déductive notamment dans sa prolifique œuvre graphique. Ses principes créatifs de déformations, obtenus par élongation et diffraction, sont accentués par la couleur et c’est l’interaction de cette géométrie chromatique qui confère une force éloquente dans l’art d’écrire chez Philippe Vandenberg.
Le peintre varie ses compositions au gré des supports, des formats et des expériences qu’il répète comme des sentences, voire des mantras. L’écriture picturale est incitative à découvrir ses écrits, dont par exemple, l’Important c’est le Kamikaze, en 2006, dans le contexte d’un long entretien réalisé avec Gérard Berréby. L’aveu d’une difficulté à vivre s’y répète. Trop éparse et énergivore pour espérer une raison unitaire à son œuvre, il se persuade de l’inexorable incomplétude de lui-même qu’il évoque comme un drame.2
« Un homme çadit
rien çapeine àpen
ser etpuisça
peindsunhom
me çapeineàpei
ndre çanedisrien »3
L’écriture picturale est un des quatre volets qui caractérisent l’œuvre de Philippe Vandenberg. Les dessins figuratifs de scènes élégiaques ou au contraire de bacchanales représentent un second ensemble. Les peintures de grands formats, sur toiles et divers supports, forment le troisième. L’œuvre graphique sur papiers de petits formats clôture cette production quadripartite. Il serait sans aucun doute opportun qu’une future exposition montre des liens inédits entre les quatre pans constitutifs de l’œuvre.
La pièce majeure de l’exposition est une écriture-trame de quatre mètres de longueur sur papier. Philippe Vandenberg y compose un texte dont l’amorce serait celle d’une histoire, si le champ des signifiants ne rendait pas la lecture difficile en dépit de la circonvolution des tentatives de déchiffrement. Elle est une vision d’ivresse pour un message cacophonique où les métaphores littéraires s’effritent au bénéfice de la matière picturale.
Un tableau est une vigueur en soi, et se déplacer au Musée pour regarder un autoportrait tardif de Rembrandt tout au long de sa vie, représente pour le peintre, une suite de rendez-vous qui le mènera au pied de l’expérience picturale, comme seul lieu possible où chanter le drame.3
Jeanpascal Février
avril 2024
- .1 Les œuvres de Philippe Vandenberg montrées à la galerie Christophe Gaillard étaient pour la plupart présentes dans l’exposition à Bozar/Palais des Beaux-Arts, Bruxelles, du 17 septembre 2020 au 21 janvier 2021.
- .2 L’important c’est le Kamikaze, Philippe Vandenberg, Œuvre 2000-2006, catalogue d’exposition
au Musée Arthur Rimbaud, ville de Charleville-Mézières, juin/septembre 2006, pp11-27.
- 3 Le texte indexé est celui qui figure sur un des volumes en carton présent dans l’exposition de la galerie_(Sans titre, ca., 2009).
- 4 Ibid. p.14.
Philippe Vandenberg (1952 Gand_2009 Bruxelles),
Artiste peintre reconnu en Belgique et sur la scène internationale.
La galerie Christophe Gaillard présente une première exposition personnelle
de l’artiste en France depuis celle de la Maison rouge à Paris en 2014.
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