Céramiste, designer, Meert conçoit aussi bien de la vaisselle que des sculptures en faïence. Facétieux, il en détourne l’usage prenant le recul que lui permet son tempérament de frondeur. Le titre en français de cette rétrospective « Incassable » aurait pu aussi être « Inclassable ».
Hugo Meert (Alost, 1964) est un Flamand singulier qui a reçu le prix Van de Velde, qui enseigne à Charleroi, Marche-en-Famenne et à La Cambre, qui pratique la conception d’objets utilitaires mais ne se gêne pas pour les détourner de leur usage normal. C’est aussi un remarquable technicien. Lui-même se définit comme « un plasticien qui, pour s’exprimer, a choisi une technique appartenant aux arts appliqués et qui conserve une attitude plasticien quand il développe des projets utilitaires. »
La scénographie qui met en valeur une cinquantaine de créations est signée Davy Grosemans. Elle indique clairement quelle sera la tonalité de cette rétrospective. L’idée première est, par une référence constante à la fragilité de la porcelaine, d’accumuler des éléments en lien avec la délicatesse de leur transport : caisses en carton, emballages divers, objets de remplissage du style papier à bulles ou chips en polystyrène qui maintiennent les pièces déménagées en sécurité. Les cartels, eux, sont des étiquettes couramment appliquée lors des envois. L’idée seconde participe sans nul doute à la distance prise par l’artiste avec le sérieux de sa profession lorsque la production est vouée à une utilisation au sein d’un monde accoutumé à un certain luxe, voire à une certaine ostentation de la valeur d’une chose quand son prix de vente est sélectif.
Détournement
Détourner semble une façon de faire inhérente à Meert. Voici une lampe de chevet ; elle en a la forme et elle éclaire ; mais, sans doute fatiguée, elle se penche dangereusement comme si elle comptait profiter du lit pour dormir un moment. Détournement plus insolite que celui du charbon qui fut jadis un des fondements de la prospérité économique wallonne. Il est fourni en porcelaine noire dans une boîte ronde en vue de servir de glaçon refroidisseur lors d’apéros.
Qu’un sextoy baptisé « Le Saint Graal » soit transformable en cierge met en corrélation sexualité et religiosité. Ce qui amène à examiner le volet des pratiques ironiques de l’artiste. Qu’un marteau ressemble à un crucifix ou qu’un crucifix prenne la forme d’un marteau, peu importe, l’effronterie est bien là, associant religion et la moitié de l’emblème de la Russie soviétique d’avant la chute du communisme.
Comme rien dans la création n‘est jamais totalement neutre, il est évident que certaines pièces prennent la coloration d’un engagement sociopolitique. Façonner un plat qui a la forme géographique de l’Afrique alors que la famine règne récurrente dans ce continent est une façon d’être provocateur, à tout le moins de se montrer impertinent.
Évoquer la coupe du monde de foot par le biais du remplacement du ballon par un sein suggère à quel point ce sport de masse est matériellement nourricier pour les joueurs, leurs sponsors et, pourquoi pas ?, pour les supporters qui profitent de leur propre plaisir.
C’est davantage vrai encore avec « 347.460 € ». Le créateur a beau affirmer qu’il s’agit de la forme d’un fruit reproduite en or une demi-douzaine de fois, ce que l’ont voit, si c’est bien un fruit, alors c’est celui de nos entrailles car ces lingots ressemblent plutôt à des étrons. Lorsqu’on sait combien la richesse mène fréquemment vers spéculations, corruptions, malversations…, la métaphore s’impose d’elle-même. D’ailleurs, les deux gamines photographiées en-dessous de l’œuvre dans le catalogue ne la démentiront assurément pas à en croire leur attitude.
Ironie
Il arrive à Meert d’ironiser à propos de son propre propos, car « l’ironie est une stratégie qui permet de transformer les poncifs du genre ». Associer en une seule œuvre une sous-tasse, un cendrier et une tasse en porcelaine blanche tout en transperçant la matière qui les relie, comme s’il s’agissait des pointillés qui permettent de séparer facilement un objet en carton ou en papier, offre plusieurs interprétations. Celle d’une séparation volontaire possible des éléments de cet ensemble pour qu’ils redeviennent fonctionnels. Celle du rappel de la fragilité intrinsèque de cette vaisselle. Celle finalement de l’antinomie qui peut exister entre art et artisanat. Celle de s’interroger au sujet de la valeur d’un objet lorsqu’il est cassé.
Ce n’est pas sans ironie non plus que des choses familières se retrouvent exposables en faïence. Voici donc un mégaphone, un panneau de prises/interrupteurs impressionnant, Voici surtout cette vidange pour évier, baptisée « Back in China », qui prend la forme de l’Empire du Milieu. Ou un plat dédié à l’estomac se développant avec l’aspect de cet organe, un rien comparable à un urinal.
Inventer un objet en assemblant d’autres est une possibilité de remettre en cause le travail artistique. Comme si un tout devait se constituer de ses similaires. Tel ce pot, « Throwing Sculpture » ou sculpture récipient résultant d’un accolage d’autres récipients. Comme si on avait rassemblé des morceaux de quelque chose de cassé mais n’importe comment sans se préoccuper de l’emploi auquel il était originellement destiné.
On frise parfois le paradoxe. La théière « Fuck-T » avec d’un côté son doigt d’honneur et de l’autre sa paume tendue vers quelqu’un s’intègrerait volontiers dans le concept des objets introuvables de Jacques Carelman. Des gants de boxe permettent de pratiquer aussi le doigt d’honneur. Les vases « Triple lait » accueillent des fleurs dans les formes de pis de vaches. Que dire aussi de ces oiseaux destinés à devenir leur propre nichoir !
Poésie et fable
La dimension poétique chez Meert est allusive. Un assortiment coquetier et tasse immaculés souligne leur usage en colorant l’intérieur de l’un en jaune d’œuf et de l’autre en noir de café fort. Il affectionne les façonnages symboliques : le moulage du ventre de sa femme à divers stades de grossesse en guise de souvenir pour ses proches, utilisables ensuite en tant que plats.
Le narratif vient se glisser dans l’une ou l’autre création. La série assignée aux terroristes en est l’exemple type. Sur un ustensile, un petit personnage est en train d’accomplir une action. Soit dans une ébréchure, il s’apprête à lancer quelque engin explosif ; soit sur la blancheur au sommet de laquelle il se trouve, il déverse un liquide noirâtre. Singulièrement, cette narration, réduite à une séquence, sans avant ni après, semble suggérer moins des victimes potentielles que la désolation d’une attaque, d’un vandalisme contre la beauté, la simplicité, l’harmonie.
Une parodie de biscuit à l’ancienne offre un bel exemple de l’ambivalence de la démarche de Hugo Meert. Elle montre un couple amoureux, sujet à la mode à l’époque, surmonté d’une sorte de phylactère doré qui affiche clairement une allusion aux prétendus faux billets que contrefit un jour Magritte. Titre évoqué par l’artiste : « La grande baisse ». Mais le titre indiqué par le cartel : « La grande baise » se réfère directement aux deux jeunes tourtereaux.
Ne pas oublier malgré tout que l’ensemble des productions du céramiste ont un indéniable aspect esthétique. Les pièces, fonctionnelles ou non, possèdent une beauté spécifique renforcée par la matière et la façon de la traiter. Leur créateur appartient à cette catégorie d’humains « qui sont de ceux qui pensent que l’art peut sauver le monde ».
Addendum
Prolongement à cette rétrospective, petit clin d’œil complice à l’œuvre d’un céramiste français François Curlet (Paris, 1967) formé à La Cambre. Son tempérament humoristique l’a amené à une production rigolote, bouffonne, quelquefois même potache.
Il produit notamment des mugs (encore un mot covid anglophone qui s’ajoute à tant d’autres contaminants de la langue française), ces tasses pas mini mais pas encore maxi. Les siens sont assez imposants, généreux même puisque dotés d’une imposante poitrine féminine.
Sur cette thématique érotique, il renchérit avec une connivence ironique du côté du sado-maso via une palette d’objets du genre phallus, testicules, bijoux clitoridiens… Il associe marque de sauce piquante avec produits pour sexualité protégée. Voire banane dévolue à être porte-clé USB.
Les objets du quotidien se voient transformés en sculptures. Ainsi engrenage et chaîne de vélo, guidon, rétroviseur. Ajoutez panneau avertisseur bien connu du danger des sols glissants lors du nettoyage des toilettes publiques d’autoroutes redéfini en tant qu’objet d’art.
C’est drôle, inattendu. Cela oscille entre canular réussi et subversion des poncifs. Ça pousse à s’amuser à des associations d’idées pour ouvrir des pistes sémiologiques au second si pas au troisième degré.
Michel Voiturier
Expositions « Ubreackable » et « Mega mug & Bike-plugged » jusqu’au 7 novembre 2021 à Kéramis La Louvière. Infos : 0032 64 23 60 70 ou www.keramis.be
Catalogue : Ludovic Recchia, Pierre Henrion, Hugo Meert, « Invitation à Keramis Hugo Meert », La Louvière, Keramis, 2019, 88 p.
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