Les peintures actuelles de Jean-François Van Haelmeersch (1955, vit et travaille à Tournai) se présentent comme des fragments de paysages. Mais il ne s’agit en rien de ces panoramas qu’affectionnaient autrefois les peintres impressionnistes et leurs descendants. Ce seraient plutôt des portions d’atmosphères, d’espaces saisis dans leurs composants les plus intimes.
Ce qui nous est suggéré, ce sont avant tout des mouvements, des palpitations, des frémissements. Par exemple : le brassage de l’air par le vent qui se lève ou déferle, l’éclat radieux d’une luminosité ambiante, l’éclaboussement liquide d’une pluie en train de tomber. Il est question de fluidité autant que de stabilité, de brièveté autant que de continuité.
La perception qui en résulte consiste alors à ressentir chacune de ces impressions sur la peau, à humer de l’humide ou de la fraîcheur, voire de la touffeur. Cette peinture-là est nourrie d’une double pulsion : la dynamique de l’énergie et la fugacité du moment. Elle se construit aussi bien sur le solide, le compact, l’opaque que l’impalpable, le flou, le translucide. Elle est encore l’une ou l’autre rencontre ou complicité entre le stable que constituerait une île et le fluide de l’eau qui la ceinture.
Les compositions réalisées sur toiles tiennent compte de la texture du support qui, précisément, en des endroits dispersés, révèlent sa matière. Celles qui enduisent du bois laissent parfois transparaître les veines de ce dernier, fusionnent à leur façon l’acrylique avec cette géographie vitale. Les couleurs sont restreintes. Elles sortent de gammes de gris, d’ocres terreux, d’allusifs verts végétaux. Elles ne sont pas utilisées pures. Elles ont ici ou là des audaces carnées liées au rose, davantage plus organique que pâtissier puisque dépourvu de fadeur. Mieux que descriptives, elles sont nées de la matérialité des éléments et non de leur apparence.
Cette manière de traduire un vécu sensoriel s’intitule avec raison « Le poids des rêves » car elle s’appréhende ambivalente. D’une part, la réalité concrète, paradoxalement montrée par le biais de ce qu’on baptise habituellement abstraction lyrique. Et d’autre part, une vision singulière perçue au cours d’un sommeil, restituant cryptées diverses sortes de possibles irrationnels. On aurait la tentation de rapprocher ce travail pictural avec une recherche instrumentale au sujet du paysage comme celle d’un Costin Miereanu (1943) dans « Come nebbia al vento » ainsi que dans « Musique climatique »ou d’un Jean-Luc Fafchamps (1960) dans «Bryce ».
Assurément, ce n’est pas un hasard si Hughes Robaye, responsable des éditions Phare Papier Mayak, dans le texte autobiographique qui constitue un livre d’artiste conçu avec Van Haelmeersch, intitulé « Good Work ! in landscape», écrit concernant sa perception nouvelle du monde après son licenciement voilà quelques années : « Je voyais les branches agitées par des souffles ; le tintement des feuilles et les oiseaux dont les chants mêlés formaient un bourdon régulier m’arrivaient par vagues. J’étais en haute mer assis dans ce fauteuil en osier, navigant de minute en minute, composant avec les humeurs qui prenaient possession de moi. Attentif à ces embruns, restant avec eux, restant dedans, complètement en dehors. J’assistais à « moi ».»
Certaines estampes osent des associations inattendues. Soit ce sont des fragments de journaux imprimés ou des pages illustrées d’encyclopédies, soit des photos ou des dessins figuratifs anciens. Une rencontre entre le visible décodable dans l’immédiat parce que familier et la gestuelle ayant manié le pinceau pour apposer la trace immatérielle d’un acte.
C’est donc, à nouveau, une dualité qui cohabite, fusionne même parfois. Le flou relie les parties. La réalité (mots imprimés, cartes géographiques) et sa transposition (clichés de paysage, dessin de nuages ou de machinerie industrielle) se mettent en osmose douce. Se brasse une perception vitale où s’inscrivent naturel et culturel, efficace procédé en vue de démontrer à quel point ils sont associés dans le quotidien environnemental et dans la créativité mentale.
Michel Voiturier
« Le poids des rêves » jusqu’au 1 mai 2021 en la galerie ‘Des cadres et de l’art’, 16 rue du Curé Notre-Dame à Tournai. Infos : 069 37 32 60.
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