Cette année, les très attendus boursiers de l’ex-musée de la Tapisserie devenu TAMAT ont vu leur travail bousculé par l’envahissement covid. Certains ont été quasi au bout de leur projet. D’autres le poursuivront en 2021. Ce qui est visible de leur recherche apporte néanmoins d’intéressants points de vue créatifs.
Maïlys Lecoeuvre (1991) s’est penchée sur les vêtements liturgiques et les motifs brodés qui les ornent. À partir de cette observation, elle a élaboré de nouvelles confections iconiques en liaison avec la propension de pointer des vedettes people comme Kim Kardashian. Le passage du sacré au profane induit bien le phénomène de la sacralisation contemporaine de personnalités dont le talent premier est de faire parler d’elles.
Selon une technique apparentée au patchwork, Charlotte Stuby () réalise des assemblages visuels évocateurs à partir de tissus de matières et de factures différentes. Des paysages colorés aux reliefs variés s’élaborent. Ils ont une vocation d’abstraction mais sont parfois porteurs de signes chargés de sens symbolique.
Lina Manousogiannaki a commencé à s’aventurer dans la relation tactile qui peut s’établir avec une œuvre et apporter une complémentarité à la vue. Puisque l’artiste est aussi photographe, la confrontation avec l’image, cette envahisseuse de notre quotidien, s’inscrit au moyen de la broderie rajoutant une dimension palpable à la planéité du support. Le passage du bidimensionnel à la troisième dimension installe une ambiguïté fragile.
De même que le parallèle suggéré entre un dessin sur papier dont le sujet surgit en noir sur le fond blanc et une pellicule extraite d’une bobine cinématographique où il se discerne sur la transparence ; ce qui souligne au surplus un autre paradoxe celui de l’opacité tangible de la partie noire combinée encadrant le vide immatériel des perforations nécessaires pour la projection.
Restaurer une œuvre du patrimoine pose la question de la pérennité des créations artistiques. Elle amène à s’interroger sur la mémoire aussi bien historique qu’individuelle. Jehanne Paternoste (1976) est partie de la présence à Tournai d’un atelier de restauration de tapisserie. Le travail qu’y effectuent des lissières spécialisées commence par l’enlèvement des poussières accumulées entre les fils tissés.
Premier geste créatif, recomposer un fil au moyen des balayures, démonstration de la vitalité potentielle de la créativité susceptible de s’emparer de n’importe quel matériau, fût-il rebut destiné à être jeté, afin de lui redonner une vie inespérée. Ensuite former des torsades avec des fils provenant d’une tapisserie familiale et les aligner ainsi que des pièces à conviction d’une enquête dotées de notes écrites résumant des conclusions d’observation. Elle y ajoute des échantillons de toile dont une part a été exposée au soleil, une autre protégée ; l’attention se porte alors sur les effets produits par lumière sur la matière, autre élément du vieillissement d’un objet.
Eva Dineweth (1996) s’engage dans une démarche plus conceptuelle. Elle aussi propose des variations plastiques en fonction de la texture des tissus, de leur rigidité ou de leur souplesse, de leur coloration lorsqu’ils sont disposés d’une certaine façon dans un espace. C’est le regard qui est sollicité afin qu’il ressente comment chaque élément, souvent associé à un objet assez ordinaire, se drape, se plie, se coule, se moule, ondule, se froisse ou s’étale. Si cela s’apparente à une fonction décorative, cela suppose aussi qu’on soit sensible à la dimension sculpturale qui en résulte.
Lisa Plaut porte intérêt aux tapisseries anciennes, celles dont les motifs ont fonction narrative. Elle va donc tenter de transposer ceux-ci sur des tissus imprimés avec évocation de dessins animés grand public, sorte de voyage temporel entre passé et présent. Arnaud Rochard (1986) s’inspire de motifs empruntés à l’histoire de la tapisserie. Il les reproduit selon une technique d’impression propre aux papiers peints qu’il adapte aussi à des carreaux de céramiques. Il se veut en quelque sorte passeur entre des figurations extraites du passé déplacées dans des décors insolites, entre un art purement créatif et un artisanat à fonction décorative.
Une gamme de rouges sert à Pétra Vanwichelen pour élaborer, au crochet, des structures suspendues. Une gamme de rouges colore les assemblages laineux entre sol et plafond. Ils semblent avoir perdu une part de leur pesanteur. Gorgones goguenardes, poulpes au sein d’une houle, ballonnets attirés vers les nuages, vers entortillés sur eux-mêmes, ce sont créatures fantasques comme les silhouettes hantant les rêves ou des filets destinés à piéger quelque cauchemar.
La suite de cette aventure, dont le premier épisode date de 1981, est attendue après le déconfinement, qui montrera s’il était possible d’approfondir chacune des démarches et aboutir à des résultats poussés au bout de leur potentiel selon les matières et les sujets abordés.
Michel Voiturier
« Boursiers 2020 » au TAMAT, 9 place Reine Astrid à Tournai jusqu’au 21 février 2021. Infos : +32 (0)69 23 42 85 ou http://www.tamat.be
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