L’Ikob (musée d’art contemporain situé à Eupen) propose une exposition originale sur le thème « Pragmatisme et Auto-organisation ». Une manière de mêler la pratique et le conceptuel, le politique et l’art actuel.
Après une saison placée sous le thème du ressentiment, l’Ikob change de ton pour sa nouvelle exposition thématique. Le pragmatisme et l’auto-organisation demeurent deux concepts étroitement liés et étaient déjà présents dans les deux dernières expositions du musée eupenois (celle sur André Butzer et celle sur Jürgen Claus). Pour le directeur de l’Ikob, Frank-Thorsten Moll, cette thématique résonne avec le contexte politique actuel : « Le pragmatisme et l’auto-organisation sont pour moi deux stratégies pour lutter contre la tendance à simplifier, à cultiver les stéréotypes et à agrandir les ressentiments entre les langues, les pays, les gens ».
Dès l’entrée, le visiteur est accueilli par une grande installation d’Adrien Tirtiaux. De grandes plaques sont soutenues par de multiples structures industrielles, inspirées d’une main d’un célèbre croquis du Corbusier. L’industrialisation et le modernisme restent deux voies majeures de l’art actuel.
Organique et solaire
Après la foisonnante et érudite rétrospective de Jürgen Claus, l’Ikob est devenue un havre de paix avec une ambiance claire et épurée. Une bouffée d’air frais dans la canicule estivale.
Les installations savantes et végétales de Pieter De Clercq donnent un aspect organique à l’exposition. Illuminant ces quelques végétaux, le néon de Jürgen Claus, intitulé « Lage solaire » (une version estropiée par le hasard de « l’âge solaire »), apparaît comme un vestige de la dernière exposition. Toutefois, ce nouveau contexte le rend méconnaissable. Les travaux de De Clercq et le néon de Claus s’appellent et se répondent, comme le soleil et les plantes. Si le pragmatisme est industriel pour Adrien Tirtiaux, il est écologique pour ces deux artistes.
Pragmatisme à la belge
S’il y a un pays qui pourrait se voir décerner la médaille du pragmatisme, c’est bien la Belgique. Son bricolage institutionnel et sa culture du compromis font du plat pays un modèle de débrouillardise et d’ingéniosité. En dehors du fait que presque tous les artistes exposés travaillent en Belgique, l’exposition de l’Ikob abonde en clins d’œil au pays du surréalisme. « Pour moi, les Belges sont très pragmatiques. Pour eux, les solutions sont importantes. Mais pas nécessairement l’esthétique des solutions », confie Frank-Thorsten Moll.
L’Allemand David Helbich est sans doute celui qui sait le mieux capter la belgitude dans ce qu’elle a de plus intériorisé. Quelques-unes de ses « Belgian Solutions » sont accrochées à Eupen et rappellent à quel point les Belges peuvent faire preuve d’inventivité. Entre l’absurde et le génie, la limite est parfois infime.
En plus de ses « Belgian Solutions », David Helbich propose une performance musicale interactive : « Music in 24 pieces ». Sur une feuille traversée par des lignes en pointillés rouges et noires figurent quelques instructions de déchirage : « Rip paper along the lines in the order of numbers », à réaliser soit « as slowly as possible », soit « as quickly as possible ». L’exécution méticuleuse de ces injonctions permettrait d’obtenir une pièce musicale, laissant derrière soi vingt-quatre morceaux de feuille. Sur le sol du musée gisent d’ailleurs des tas de bouts de papier déchiré, vestiges des symphonies bon marché des visiteurs précédents.
Une nouvelle forme de résistance
Dans un contexte politique occidental de plus en plus tendu, l’auto-organisation semble être une voie privilégiée de résistance. Dans le hall d’entrée, une installation attire tous les regards : un globe doré, jeté sur le sol et brisé par endroits. Cette œuvre d’Adrien Tirtiaux intitulée « Europe sans frontières » hypnotise le regardeur par sa couleur envoûtante et sa matière « bling-bling ». Par ce globe altéré, c’est l’humanité même qui est détruite. La richesse du monde qui est blasphémée.
L’esprit de contradiction est également fort présent dans la sculpture d’Elias Cafmeyer : une tour de cônes de chantier en béton. Intitulée « Constantin », en référence à Constantin Brâncuși et son œuvre « Colonne de l’infini », cette sculpture à la verticalité déconcertante mélange le lourd et le léger, la solidité et la fragilité.
Dans les mois qui viennent, l’Ikob promet d’autres expositions sur le thème du pragmatisme et de l’auto-organisation. Le directeur refuse toutefois de voir sa saison assujettie à un seul et unique thème : « Je pense que l’art est la culture de la complexité. Je ne veux pas faire de la simplification ».
Romain Masquelier
Ikob >14/10/2018
PRAGMATISME ET AUTO-ORGANISATION :
Elias Cafmeyer, Jo Caimo, Pieter De Clercq, Lisette de Greeuw, Emmanuel Dundic, David Helbich, Edyta Jarząb, Mirthe Klück, Alina Schmuch et Adrien Tirtiaux.
Poster un Commentaire