Claude Levêque espèce de sculpteur d’espace

Back to Nature, Frac Provence-Alpes-Côte d’Azur. (Modèle agrandi de table Louis XV) - Jean-Christophe Lett © Claude Lévêque, ADAGP Paris, 2018. C. Levêque & Kamel Mennour, Paris/London.

Claude Levêque (Nevers, 1953) d’abord connu pour ses œuvres incluant des néons se préoccupe actuellement d’espace. Sa volonté est d’expérimenter des lieux comme ceux qu’il investit à Marseille : la chapelle de la Grande Charité, le FRAC et un appartement privé.

De la veine de la production antérieure de Levêque, deux exemples sont visibles à Marseille, au MAC, dans l’exposition Quel amour !?. Sur ce thème, il a agencé deux ensembles ironiques qui égratignent les couples soumis à l’usure du temps et à la pression de ceux qui constatent leur échec amoureux. Le premier se présente sous formes de deux découpes de la silhouette de fauteuils de salon à accoudoirs, posées dos à dos et au-dessus desquelles luit ce mot en néon éclatant : désert. Le second est une jalousie, persienne fermée sur laquelle clignote, comme devant certains bordels, le mot secret en rouge.

Ce qu’il a conçu pour d’autres lieux marseillais est d’une genèse différente. Il s’agit pour lui de s’imprégner d’un bâtiment, d’un espace architectural et d’y installer une œuvre plus ou moins monumentale en rapport étroit avec son organisation spatiale. Cette création doit influencer la perception d’un visiteur lorsqu’il pénètre dans un endroit, surtout s’il lui est familier. Ce sont donc moins des œuvres à contempler que des moyens pour appréhender sensoriellement un volume dans lequel on se trouve.

Une autre préhension de l’espace

La chapelle du XVIIe dans laquelle l’artiste a installé Life on the line appartient au patrimoine de la ville. Pendant la durée de l’exposition, suspendue sous le dôme, une sorte d’arbre en inox déploie des branches sinueuses et tourne inlassablement. Sa matière fait office de miroir. Un miroir qui reflète donc la construction environnante de manière fragmentaire et mouvante sous les variations de la lumière naturelle, en fonction de la météorologie.

Lorsqu’on visite un bâtiment, on ne le perçoit bien entendu jamais de cette manière qui transforme le décor ambiant en fragments de pierre, de voûtes, de colonnes brassés à la façon d’un puzzle permanent. Une bande son continue a été calculée, paraît-il, à partir des infrabasses émises par la chapelle. Elle suscite une ambiance particulière qui n’est pas manifeste à supporter.

Dans les locaux du FRAC, se trouve Back to nature. L’édifice est contemporain, signé par l’architecte Kengo Kuma. Ici, au contraire, Levêque a occulté la lumière naturelle pour plonger les deux étages d’expo dans une pénombre plutôt profonde. En bas, le visiteur pénètre dans un immense volume vide, accueilli par l’enregistrement du brame d’un cerf.

Dès les yeux habitués à la quasi obscurité, il distingue en ombre chinoise et en suspension dans l’air un vélo d’enfant devenu aussi volant qu’un tapis de conte. Il aperçoit ensuite une table gigantesque qui ressemble à un baldaquin géant sous lequel il se sent tout petit, presque gamin susceptible d’enfourcher le vélo inaccessible. À ceci près que ladite table, montée sur roulettes, il lui est loisible de la déplacer à sa guise.

À l’étage qui a valeur de mezzanine, il retrouvera, regardé de haut cette fois, ce qu’il vient de rencontrer en bas. Pour ce, il aura dû traverser un passage en forme de palissade dont les planches ont des hauteurs irrégulières et dont le trajet passe par un rétrécissement. Comme lors de certains travaux urbains, le citoyen est contraint de longer ou traverser des chantiers à travers un environnement provisoire.

Les planches dressées étant non pas accolées mais séparées par un interstice, il lui est possible de tenter de voir au-delà de l’obstacle présenté à sa vue. De déceler une luminosité rougeâtre ainsi que les éléments mécaniques du maintien de l’ensemble en place.

Un antidote à l’anecdote

Pour une période très éphémère, à l’intérieur d’un appartement, au pied d’un mur peint en jaune, Levêque, sous l’intitulé Paradiso, a disposé au sol des ampoules électriques rouges, brisées, cassées, soquets mêlés aux débris de verre. Si le contraste des couleurs suggère à quelques-uns une sorte de version nouvelle des couchers de soleil autrefois récurrents d’une peinture inspirée par la nature, il est question avant tout d’un espace de passage entre deux pièces d’habitation, du danger de se couper aux pieds lorsqu’on y déambule sans protection. Se questionner sur l’origine de cette casse ne relèverait que de l’anecdote.

Ce type de réflexion n’est en rien ce que cherche Claude Levêque. Il désire mettre tout visiteur en position différente de l’habituelle déambulation d’un amateur de musées qui consiste à aller d’œuvre en œuvre pour les regarder et éprouver une certaine émotion plus ou moins esthétique, donc essentiellement intellectuelle. Il souhaite que celui qui pénètre dans ses installations parte de sa situation corporelle au sein d’un espace modifié. La création étant dès lors un vecteur susceptible de déclencher une perception inattendue à condition de chercher non pas une signification aux éléments présents mais bien de ressentir en soi, sur soi, par soi une impression plus physique que mentale.

Le lieu choisi ayant été théâtralisé, il se passerait, dans le meilleur des cas de dispositions favorables de l’observateur déambulateur, ce qui devrait se passer si soudain on déplaçait un amateur de théâtre de sa position de spectateur en salle pour le déposer sur une scène au milieu des comédiens. Ce n’est pas une évidence. Il faut accepter la démarche, oublier d’être simple voyeur, s’intégrer dans une durée imposée, quoique nullement contraignante.

Michel Voiturier

Les travaux de Claude Levêque sont accessibles à Marseille au MAC, 69 avenue d’Haïfa jusqu’au 2 septembre (« Secret » – « Désert »), à la Chapelle de la Vieille Charité, 2 rue de la Charité (« Life on the Line ») et au FRAC, 20 boulevard de Dunkerque (« Back to Nature ») jusqu’au 14 octobre 2018. Infos : +33 491 91 27 55 ou https://www.fracpaca.org/

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