Une double expo envisage deux conceptions du rôle muséal aujourd’hui. La première partie plus traditionnelle est thématique puisqu’elle décline des approches différentes des rapports entre peinture et écriture, arts plastiques et mots. La seconde innove en invitant une demi-douzaine de jeunes créateurs récemment sortis de l’école supérieure montoise des arts ARTS² a une installation inspirée à la fois par une œuvre de la collection du BAM et par leur propre parcours artistique.
Le lien entre « Au pied de la lettre » et « Nouveaux westerns », c’est que les anciens étudiants ont joué avec des correspondances entre les pièces patrimoniales et leurs créations forcément récentes. D’une part, ils intègrent une œuvre extraite des réserves de l’Artothèque montois ; d’autre part ils interviennent par une des leurs à l’intérieur même de la production strictement muséale. Si bien que passé et avenir se rejoignent.
Vingt-six lettres hors réserves
L’Artothèque rassemble les pièces muséales montoises qui ne sont pas en exposition permanente. Le lieu est un ancien établissement scolaire reconverti en réserves. Mais c’est aussi un endroit où le visiteur peut regarder, observer, se renseigner sur chaque œuvre. Un ingénieux système informatique permet de sélectionner, s’attarder sur des détails, comparer, recevoir des données historiques notamment à partir d’écrans tactiles. C’est de cet ensemble qu’ont été extraites les œuvres sélectionnées pour cette mise en rapport de la lettre et des arts plastiques.
La calligraphie est considérée comme un art. Les lettres ont presque toujours fait joyeux ménage avec dessin et peinture. On ne compte plus les abécédaires créés par des plasticiens ni des alphabets d’écrivains décrivant à leur façon l’image donnée à voir par chaque consonne ou voyelle. Ici le rapport avec l’art est envisagé sous quatre approches : formes et signes ; mots, légendes, supports ; gestes ; écritures et désécritures.
L’alphabet subit les joyeuses déformations de Massimo. Les lettres reprises par Bruno Di Bello jouent à cache-cache avec elles-mêmes. Celles, rigoureuses, de Delahaut ont parfois été transformées en bijoux par leur créateur. Maury agence des assemblages géométriques devenus rappels signalétiques tandis qu’Herbin dresse des formes strictement bâties. L’art construit a beaucoup aimé s’amuser avec les signes graphiques dont la structure se prête volontiers à ce genre de jeu plastique.
Les grouillements de Van Gindertael comme les signes de Michaux en appellent au grouillement, à la prolifération, à une sorte de logorrhée visuelle. Roure use d’une figuration esquissée sur fond de journal imprimé. Waydelich y adjoint une partition musicale, autre façon de transcrire une réalité, celle des sons.
S’il en est un qui inventa une forme d’écriture personnelle, c’est bien Dotremont. Son geste inscrit ses phrases poétiques dans l’espace, l’occupent et donnent finalement à l’œil une chorégraphie qui va au-delà de l’apparence des mots dont on ne reconnaît plus qu’une partie de leur graphie. Leur traduction, minutieuse, au crayon, par l’artiste permet de retrouver l’origine de ce qui est devenu mouvement. Un mouvement que Tal Coat associe à l’évocation du ‘A’ et que Lismonde tisse en réseaux de lignes élégantes.
On sait que Ben existe d’abord par les mots qu’il copie et ensuite par l’humour qu’il y glisse avec une impitoyable ironie. Vinche, au fil des ans, se laisse tenter par la narration jusqu’à peindre des œuvres apparemment traitées comme des fragments de journal intime. Simonetti étale une étrange succession de lieux, cadastre poétique d’une architecture rêvée.
D’autres compositions se succèdent. Elles donnent à observer comment les peintres s’interrogent sur le langage écrit en l’intégrant, le contraignant à disparaître sous matière et couleurs, la laissant parfois surgir tout en misant sur le doute de sa présence. Car si la signature de l’artiste est la plus courante attestation de l’écrit dans le domaine pictural, le langage codé a naturellement sa place dans les images, la plus flagrante étant les discours qui habitent les phylactères des bandes dessinées.
Une demi-douzaine d’ensembles nouveaux
Le collectif VOID (Arnaud Eeckhout, 1987 ; Mauro Vittorini, 1985) est à l’accueil. Il travaille l’espace et le son. C’est dans une déroutante installation que débarque le visiteur. Sur des structures en bois nu et des tables immaculées, une vingtaine de cornets blancs posés sur des galettes noires en vinyle en train de tourner, émettent les sons que produit l’aiguille qui les prolonge. Des sonorités plus ou moins grinçantes meublent le volume de la salle. La finition très géométrique de l’installation contraste avec l’ambiance sonore répandue en combat singulier avec le silence attendu ou bien ne serait-ce pas plutôt, la mémoire des crissements emmagasiné dans les murs depuis leur érection ?
DSCTHK (Jérôme André, 1972 ; Thibaut Blondiau, 1973) a confectionné un lieu festif qui tient du bar de club intimiste, de la discothèque (comme le suggérait sans doute les voyelles du patronyme adopté. Cet endroit est bien muséal : les murs sont décorés de portraits de personnalités montoises empruntées aux réserves des collections de la ville. Entre eux, redevenus anonymes après leur décès, s’étalent des clichés de discothèques en format plutôt discret. Contrastes entre la solennité artificielle des notables surannés et la banalité des façades des endroits festifs populaires, ou populistes.
Le bar lui-même, création particulière, peut être plus ou moins opérationnel. Il est pourvu de verres, il a pour fonction accessoire d’être distributeur gratuit de cacahuètes. Il laisse entrevoir en ses entrailles des éléments rappelant la production antérieure du duo. Et afin de souligner que c’est bien en cet endroit qu’on peut le prendre, un pied parade sur le sol. Un lieu traditionnellement de rencontre semble prendre des allures de rendez-vous hanté de fantastique.
Karine Marenne (1975) a choisi la performance. Elle se situe sans cesse au bord de la mise en abyme. Pour le moment, elle intervient au milieu des acquisitions d’un collectionneur. Valorisée par une tenue de soubrette plutôt fantasmatique, elle introduit la fiction dans la réalité d’une collection qui, elle-même, n’est constituée que de représentations.
Il y a une part de dérision dans cette démarche par la mise en scène. Et, en même temps, il se produit une série de relations de pouvoir entre ceux qui acceptent qu’on pénètre dans leur intimité et celle qui impose ses conditions. Ce travail attesté par les photographies qui en résultent se situe au carrefour du spectacle vivant, du docu-reportage, d’une analyse sociologisante du marché de l’art.
Sébastien Lacomblez (1983) est collectionneur avant tout. Il accumule surtout des objets « qui questionnent la frontière entre l’artefact et les produits de la ‘nature’, du hasard ». Il expose entre autres des serpents congelés issus d’hybridations successives pour, précisément, provoquer des interactions entre des éléments naturels et des modifications volontaires par l’homme. L’ambiguïté, l’hybridité demeurent permanentes parmi les pièces rassemblées. Excepté pour les tapisseries abstraites qui entourent la salle réalisées sur la base de systèmes cellulaires soumis à un algorithme.
Chez Hell’O (Jérôme Meynen et Antoine Detaille, 1980), on se nourrit de dessin, et même d’un dessin urbain. Nous ne sommes pas loin du ‘street art’, ce qui explique un goût immodéré pour les fresques murales. La couleur est joyeuse. Les personnages affichent (c’est bien le verbe qui convient) une fantaisie drolatique. Ce travail déborde de ludique et de parodique. Une façon d’être optimiste dans un monde qui en est le reflet inverse.
La Louviéroise Leslie Leoni (1981) pratique d’abord la gravure. Elle le fait notamment sur gomme. Autrement dit, elle imprime des images à partir d’un support dont la fonction est d’effacer. Paradoxe qu’elle semble affectionner particulièrement. De même que celui qui consiste à, avec des petits formats, emplir de grandes surfaces. C’est donc en conformité avec cette démarche qu’elle a décidé de couvrir des murs grâce à une création de papier peint aux motifs plus ou moins nuageux, mi-abstraits, mi-réalistes poétiques. Et que, habituée aux échanges collectifs, elle propose aux visiteurs une feuille aux motifs cousins des siens afin qu’ils y apposent couleurs, mots, dessins… Non sans oublier de rappeler que pour arriver dans un musée, une œuvre est souvent emballée avec précaution dans des empaquetages en bois, qui les dissimulent au profit de l’aspect très artisanal de ce qui les protège.
Michel Voiturier
Au BAM, 8 rue Neuve à Mons, jusqu’au 27 août 2017. Infos : 0032(0)65.40.53.30 ou http://www.bam.mons.be/
Catalogues : Michel De Reymaeker, Sophie Simon et collab., « L’Arthotèque 50.000 œuvres au bout des doigts », Mons, Artothèque, 2016, 140 p.
Xavier Canonne, Christophe Veys, Xavier Roland, Michel De Reymaeker, Philippe Ernotte, « Nouveaux Westerns », Mons, Musée des Beaux-Arts/ARTS², 2017, 192 p.
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