Inventaires de nos semblables ou déclinaisons du portrait

Œuvres de Xavier Noiret-Thomé, © MUba Eugène Leroy Tourcoing – Photo DR

Le portrait demeure un genre. Il a bien évolué depuis le temps où il devait avant tout servir à mettre en valeur un personnage important ou qui se prétendait tel. Il était autrefois le meilleur témoignage de ce qui subsistait d’une personne lorsqu’elle avait disparu. L’avènement de la photographie a rendu cela obsolète. Sans pour autant l’annihiler car la facture d’une œuvre donne de la personne une perception d’autant plus personnelle que l’artiste façonne véritablement une image unique.

Même si l’engouement actuel pour les selfies ne durera sans doute que ce que durent les modes, l’autoportrait reste assez prisé. Les autres portraits – en dehors des papiers d’identité – quoique plus rares n’ont pas pour autant disparu mais ils utilisent des techniques et des options esthétiques forcément hétéroclites pour des résultats bien éloignés des réalisations de la portraiture de jadis.

Les miroirs de soi

Le portrait de sa concierge par Fautrier – lorsqu’il était encore réaliste – explicite bien l’apport du peintre en vue de dévoiler la nature du modèle. Le visage et les mains polarisent l’attention et insistent sur l’humain de la personne. En dépit des apparences, elle est et, à l’inverse de toiles plus académiques de Carolus-Duran, Cornelis Bega et de Bonnat prêtées par le musée d’Orsay, ne paraît point.

Les surprises se succèdent. Un autoportrait de Monet exalte la couleur et la matière. Des Leroy laissent percevoir, comme souvent chez lui, une présence incorporée aux masses colorées, à l’épaisseur de la pâte. Un peu ce genre de magma qu’offre Marwan qui fusionne physionomie et paysage. Baselitz dessine à grands traits rapides une figure sortie des antipodes sur fond jaune. Hervé Jamen étale une série de son visage. Cette variation sur un même thème permet de s’approcher du travail pictural puisque la façon d’utiliser couleurs, lignes, nuances, lumière est singulière.

L’impression varie selon qu’on imagine une évolution temporelle, une mise en situation imaginaire. Nina Childress travaille aussi son image. Elle se dépeint alors sous l’identité plus ou moins parodique d’une personnalité connue. En une espèce de pastiche des fameuses vignettes Panini, Yves Brochard collectionne des effigies de coureurs cyclistes porteurs de leurs maillots multicolores.

Humberto Bustamente, qui s’est montré occasionnellement assez proche de l’esprit d’Eugène Leroy, confronte un travail voisin de l’art brut et l’abstraction géométrique. Le plaisir des couleurs vives sert de lien entre l’abstrait et le figuratif. Pierre Yves Bohm construit en réseaux. Cela rappelle une configuration géographique de métro souterrain, une intrusion au scanner dans un labyrinthe cérébral ou informatique parsemé de petits ronds colorés.

Mélangeant les genres, Brinkman assemble des objets chinés çà et là pour aboutir à une forme humaine aux éléments réifiés. Ainsi le rebut se voit-il recycler en part entière de création artistique, accentuant le mystère d’une présence masquée et affirmant leur affinité avec le dandysme. Ainsi parvient-il à appartenir à l’œuvre et à la salle dans laquelle il est exposé, comme en atteste cette image où la reproduction d’un tissu est doublée par la véritable étoffe utilisée en guise de fragment d’encadrement avant de se prolonger en drapé hors cadre.

Le Courtraisien Tinus Vermeersch passe par la métaphore ou la métamorphose, c’est selon. Cette allusion à la peinture flamande de jadis, en particulier celle des créatures fantasmagoriques de Bosch, ramène vers l’histoire de l’art. Nanne Meyer se réfère aux paysages anthropomorphiques familiers à Joos de Momper ou d’Arcimboldo et consorts, usant de cartes géographiques. À l’opposé, Xavier Noiret Thome semble se libérer de toute contrainte, en une incartade permanente vers une verve malicieuse, une évidente délectation.

Orsten Groom ne craint pas la profusion. Ce en quoi il rejoint Leroy. Mais cette profusion ne consiste pas à entasser des strates de matière picturale. Elle accumule des signes gestuels, des traits mouvants, des lignes entrecroisées. Une sorte de magma polychrome d’où émerge l’un ou l’autre élément. Il en va de même chez Adrien Cicero qui s’adonne lui aussi à une sorte de spontanéité sauvage.

Particulièrement intéressante est la série signée Jean Michel Hannecart. Il s’empare d’images parues dans la presse, en fait des tableaux en les retravaillant selon des techniques anciennes. Sur un premier tableau, il en superpose un second en laissant un intervalle entre les deux. Il découpe alors autour des yeux du personnage peint un trou de dimensions variables qui laisse entrevoir le sujet de l’autre toile. Le regardeur est alors confronté à plusieurs perceptions. Aucun des individus peints n’est totalement reconnaissable. Il se passe alors un jeu de cache-cache un peu frustrant mais stimulant pour l’imagination. Sous une œuvre d’art se dissimule souvent des interprétations hasardeuses, énigmatiques pours lesquelles chacun émet ses propres hypothèses comme un enquêteur au cours d’une affaire criminelle afin de trouver une vérité.

Photos aux réels nuancés

La photographie n’est évidemment pas absente. Divers métiers se présentent par l’intermédiaire de celui qui les pratique. Pierre Mercier aligne ces travailleurs dans des attitudes de musée Grévin et munis d’accessoires qui précisent leur fonction de manière allusive. La pose fige le sujet non pas comme pour fixer un moment d’existence mais pour affirmer le travail à accomplir.

Il y a quelque chose de janséniste chez Marc Trivier qui fige le temps à jamais pour photographier des gens qu’il a choisis. Ce qu’il suspend est du vivant en sursis dans la fragilité brute d’un éphémère commun à tous. Il a pris le temps de laisser le modèle se lasser de jouer un personnage destiné à être happé par un objectif. Il déclenche la prise de vue quand il n’y a plus jeu mais relâchement de l’attention et de la tension. Il extirpe la photo de son environnement en la présentant entourée d’un bandeau noir qui pourrait être celui d’un faire part funéraire. Bogdan Konopka se cantonne aussi dans le noir et blanc pour y entretenir un climat d’étrangeté.

Antoine Petitprez aligne des portraits inversés : il travaille sur les dos et les crânes. On se croirait face à un inventaire d’identification de détenus d’une prison. Privés de visages, ces hommes se dévoilent par la forme et les reliefs de leur tête rasée et de leur nuque, par leur carrure, par d’éventuels signes distinctifs comme les tatouages. En ressort un désarroi étrange car la grandeur nature de ces silhouettes se réfère instinctivement à des images de malades, de condamnés, d’exploités.

La couleur sied bien aux personnages assoupis présentés par Ann Mandelbaum. Ils livrent leur abandon dans un indéfini qui atténue la netteté de l’instant. Valentine Solignac s’en empare pour composer un reportage en résidence à Condé-sur-l’Escaut. L’environnement, davantage que les individus, est essentiel à une atmosphère qui révèle une géographie aux tonalités douces de luminosité apaisée.

C’est aux réseaux sociaux d’internet que Jocaille emprunte ses modèles. Ce receleur de selfies les modifie en les transformant avec des effets de froissements de matière, de reflets de lumière. L’autoportrait passe du cliché brut d’amateurs en avatar des egos postés sur le net.

Cette variété multiple de portraits prouve que le thème reste vivace. Elle démontre également l’infinie diversité des moyens plastiques qui en permettent la réalisation. À quelle école esthétique qu’appartiennent les artistes, il est clair que les recherches plastiques sur le vu et le caché, le psychologique et le symbolique, l’apparence et la réalité expriment un questionnement permanent des artistes sur le rôle de l’art dans la connaissance de l’humain.

Michel Voiturier

« Tu sais ce qu’elle te dit… ma concierge ? » jusqu’au 18 septembre 2017, 2 rue Paul Doumer à Tourcoing [F]. Infos : 00 33 320 28 91 60 ou http://www.muba-tourcoing.fr

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