Le « Nouvel Ordre mondial » de Fouad Bouchoucha

 

Du 2 au 31 octobre, l’artiste français Fouad Bouchoucha investit l’espace de la galerie Yoko Uhoda pour une exposition monographique « Nouvel Ordre mondial ».

 

Dessinateur industriel de formation, Fouad Bouchoucha est diplômé de l’Ecole Supérieure des Beaux-arts de Marseille et de l’Ecole nationale supérieure des Beaux-arts de Lyon. En 2008, l’artiste a crée le label “Le saut du tigre “ dédié aux plasticiens travaillant le sonore ou à l’inverse des musiciens s’intéressant aux arts plastiques. Après la réouverture du Palais Tokyo en 2012 avec l’œuvre sonore Air de Jeu, Bouchoucha présente sa première exposition personnelle à la Galerie Eric Dupont à Paris « Mes possibles ».

 

Mêlant anciennes et nouvelles créations issues de ces trois dernières années, « Nouvel Ordre Mondial » est un prolongement de l’exposition « Mes possibles » présentée au début de l’année 2013 à Paris. L’artiste y interroge ses possibles et « tente de dépasser les limites de chaque possibilité, et mettre en forme l’intangible »^[1]. Le travail de Bouchoucha se penche sur les modèles théoriques et scientifiques qui ont façonné notre culture contemporaine aussi bien dans les domaines scientifiques que dans le cadre des sciences humaines.

La boucle d’Hilbert, un cylindre en verre rempli de poudre et soumis à une rotation continue, fait référence au paradoxe dit de l’Hôtel de Hilbert, notion mathématique relative au paradoxe de l’infini ; ou comment un espace fini peut contenir l’infini. Matérialisant l’infini et le temps qui passe, les paysages se forment et se reforment au fur et à mesure de la boucle mais jamais de manière identique.

 

Au dernier étage de la galerie, Goodbye Horses et Goodbye Horses 2 incarnent l’hyper puissance, autre aspect récurent dans le travail de l’artiste depuis plusieurs années. A l’origine destinés à la soufflerie afin de calculer le coefficient d’entrée de la voiture dans l’air, ces prototypes du modèle Veyron de Bugatti ont été réalisés en étroite collaboration avec l’entreprise. Cette voiture, la plus puissante au monde, représente pour Bouchoucha l’idée que l’on peut se faire de la puissance. L’objet en lui-même n’a plus d’essence. On achète une Bugatti pour la potentialité de puissance qu’elle peut contenir et non pour son utilisation. Les prototypes ont donc été transformés afin d’améliorer leur performances et d’assumer ce statut d’objet hyper puissant, en optimisant son coefficient d’entrée dans l’air pour le premier et par l’ajout d’un monolithe en référence au film de Stanley Kubrick 2001 Odyssée de l’Espace.

 

Avec « Nouvel Ordre Mondial » l’artiste s’interroge sur le développement des nouveaux médias et leur influence sur notre manière d’appréhender le monde qui nous entoure. Aujourd’hui, notre monde est connu à travers Google, construit par la suite Adobe et présenté sous Word. Ces outils influencent et contraignent notre pensée, notre production, notre culture[2].

 

Au rez-de-chaussée de la galerie, les œuvres Le geste 1 et Le geste 2 confrontent l’extrême standardisation des protocoles liés aux logiciels de design industriel et la singularité des “savoir-faire”. Une main réalisée sans assistance informatique, à la façon des décors de théâtre, fait face aux axes X, Y, Z, mesures issues des logiciels informatiques de dessin assisté par ordinateur, conçus sans intervention manuelle. Bouchoucha dénonce l’utilisation accrue de ces logiciels et leurs limites qui conditionnent notre production, accentuant le sentiment d’uniformisation formelle.

Réalisée dans le cadre de sa résidence à Trankat, l’installation La Maitresse et son esclave met également en exergue la question du geste industriel à celle du geste artisanal et de l’apprentissage. Mises en miroir, deux paires de zelliges, l’une créée par l’artiste grâce à un procédé basé sur des logiciels de design industriel et l’autre par le savoir faire d’un maitre artisan marocain travaillant dans la pure tradition du 14e siècle, dénoncent la standardisation des protocoles liés aux logiciels de design industriel.

 

Le titre de l’exposition nous renvoie à une formule que l’on retrouve dans un ensemble de théories conspirationnistes apparues au début du 20^e siècle et dénonçant, entre autres, un projet de domination planétaire. L’apparition et l’avènement du web a donné libre cours à l’apparition de nouvelles croyances qui n’ont fait que se multiplier et s’intensifier ces dernières années. Suite aux évènements du 11 septembre, ces théories ressurgissent sur le web, à la connaissance d’une bien plus grande part des populations. Ce nouveau « mythe moderne » fait de plus en plus de partisans qui aiment à reconnaitre dans les images, des symboles ou formes cachées comme la présence récurrente du chiffre du diable dans les logos d’entreprises. Les œuvres peintes de Bouchoucha interroge ces images, les dissèquent et font apparaitre ce qu’elles doivent tenir caché (car si elles sont créées afin de manipuler alors, dévoiler les signes masqués nous affranchi).

 

Fouad tente de comprendre pourquoi l’homme ressent le besoin de donner un sens à ce qui l’entoure et comment des glissements d’une croyance à l’autre ont lieu. L’évocation du culte du Cargo lui permet d’appréhende ce mécanisme en pénétrant les rouages de construction d’imaginaires collectifs. A la fin du XIX^e siècle, des civilisations mélanésiennes ont fondés de nouveaux cultes sur la croyance selon laquelle l’abondance et la sophistication des marchandises apportés par cargo à l’usage des colons étaient dues à une faveur divine. Les indigènes se mirent alors à imiter les gestes des radio-opérateurs et à reproduire des radios et avions cargo afin de bénéficier également de ces faveurs. Considéré par l’artiste comme des fétiches, offrandes ou encore nouveaux objets du désir issus de notre société de consommation, la série de petites sculptures en papier mâché (paire de baskets Nike, console de jeux Nintendo, Hummer Gucci,…) témoigne de la reconfiguration de nos croyances ; comme les Mélanésiens, nous en sommes venus à développer une forme de culte du cargo.

 

La perception et la suggestion— mentale, visuelle, physique ou auditive — sont au cœur du travail de l’artiste. Avec « Nouvel Ordre Mondial » Bouchoucha nous livre un univers où se côtoient, entre autres, puissance, vitesse, temps et nouveaux mythes. Ses œuvres impliquent de réfléchir à leurs origines conceptuelle et technique, à leurs références artistiques et surtout populaires et impliquent alors de déconstruire nos croyances.

 

karine Janssen

 

[1] Texte de Leïla Quillacq pour l’exposition « Mes Possibles », galerie Eric Dupont, 2012.

[2] Texte de Fouad Bouchoucha pour l’exposition « Nouvel Ordre Mondial », 2015.