Le musée de Mariemont accueille un exceptionnel ensemble de gravures d’un quatuor sulfureux, annonciateurs ou continuateurs du surréalisme, catalyseurs de nos angoisses et de nos tabous, explorateurs de nos songes. Cinq thèmes les sous-tendent : le rêve, l’érotisme, la féminité, la mort, l’étrangeté.
Dans une scénographie de Monique Pauzat et Jean-Michel Ponty, minutieusement élaborée, sorte de labyrinthe dont les repères sont des fragments de gravures agrandis, dont l’atmosphère de pénombre crée un climat étrange, le visiteur découvrira des œuvres pleines de démons, de créatures fabuleuses et extravagantes, des mutations prodigieuses.
Félicien Rops (1833-1898), Max Klinger (1857-1920), Alfred Kubin (1877-1959) et Armand Simon (1906-1981) forment une lignée particulière, comme si, à partir du père fondateur, chacun était le bâtard du précédent, différent mais doté des mêmes gènes, nourri aux mêmes sources culturelles des mythologies antiques, des contes et légendes européennes, des fantasmes personnels jaillis de leurs esprits allergiques aux tabous. Il est vrai que leurs origines se trouvaient dans les dessins moyenâgeux de peuplades imaginaires, puis chez Bosch ou Bruegel.
Sauf qu’ici nous sommes, avec Rops, dans une œuvre qui ayant préscience de «l’avènement de la psychanalyse, la psychologie et la psychiatrie, en révèle assurément les soubassements et en annonce l’émergence ». Avec Klinger, qui influencera Chirico par son côté onirique, et Kubin, qui entremêle « des éléments de la réalité sociale avec ceux de son monde de fiction intérieur », nous accompagnons les découvertes freudiennes. Avec Simon, nous voici à la périphérie du surréalisme à travers des dessins « automatiques » créés dans une solitude quasi absolue.
À travers plus de trois cents gravures et dessins, nous parcourons un univers peuplé de créatures insolites. Il y a les êtres, difformes, métamorphosés, malades, arborant des anatomies prodigieuses. Souvent porteurs d’une sensualité exacerbée liée tant à la peau qu’aux attitudes.
Il y a les situations, mises en relations de gens avec d’autres individus, emprunts à des croyances, confrontations à leurs semblables ou à leurs contraires, heurts à des démons légendaires ou intérieurs. C’est l’attirance vers l’interdit, le duel avec le prohibé, la soumission aux tentations, la profanation du sacré autant que sa fascination. C’est la beauté couplée à la laideur, le plaisir associé à la souffrance. Aux alentours rôde la mort, avec son corolaire la maladie, et sans doute aussi la misère, la violence.
Il serait quasi évident de compléter les filiations en constatant l’influence de Goya, d’Ensor… Et d’inclure, pour la génération suivante, un Topor. Toujours est-il que, comme l’écrit Yves Vasseur, « les quatre ont la femme en actrice majeure de leurs fantasmes ». Ils en ont donné un portrait à facettes qui annonçait sa future ‘libération’ en lui reconnaissant une sensualité particulière et le droit d’en user pour autre but que de la vénalité. Ils ont été au-delà du symbolisme au profit de visions étrillant les apparences, explorant les chemins du subconscient.
Ils demeurent des sources. Preuve en est que le catalogue, copieux, dense, attisant, permet à trois écrivains de s’inspirer d’eux pour des textes nourris de l’imaginaire du fantastique : François Emmanuel, Caroline Lamarche et Caroline De Mulder.
Michel Voiturier
« L’Ombilic du rêve » au musée royal de Mariemont, 100 chaussée de Mariemont à Morlanwelz jusqu’au 31 mai. Infos : 064 21 21 93 ou www.musee-mariemont.be
légende image: M. Klinger, « Amour, Mort et l’Au-delà » (Musée Narodowe à Poznaniu)
Catalogue : Sofiane Laghouati, Pierre-Jean Foulon, Élisabeth Dumesnil, Guidino Gosselin, Yves Vasseur, « L’ombilic du rêve », Bruxelles/Morlanwelz, La Lettre volée/Musée de Mariemont, 2015, 248p.
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