« 20.000 lieux » sur les mers (et les terres)

Georges Rousse, Grands moulins de Paris, 2005, coll. Société Générale ©ADAGP 2014

Parcours imagier à travers espace et temps pour confronter des regards aux nôtres. En associant des pièces de la collection du musée et celles de la Société générale, Victor Vanoosten et Aude Cordonnier incitent une promenade visuelle qui ouvre des horizons, mélange de réalité et d’imaginaires.
Un peu à part mais nullement hors sujet, une série de travaux donnés par la famille de Jean Dewasne (1921-1999) déclinent l’art construit du Nordiste. Il est accompagné par une série impressionnante d’œuvres de la même ethnie esthétique mais de pères différents.

Dewasne urbain coloré

S’il ne s’agit pas à proprement parler de ‘paysages’ chez Dewasne, ses compositions s’intègrent aisément dans l’environnement industriel du XXe siècle. En effet certains dessins sont la préfiguration de façades d’usines à peindre. Des éléments métalliques assemblés se rapportent sans conteste à l’automobile et à la carrosserie et que le peintre intitule ironiquement « Cerveaux mâles ».

Par ailleurs, la forme se nourrit de figures géométriques. Contrairement à beaucoup de créateurs de ce courant, Dewasne a une affection particulière pour les ronds, les ovales et les courbes. Cela donne des compositions qui marient une sorte d’harmonieuse sensualité à la rigueur des carrés, triangles, polygones et angles divers. On y trouve une imagerie évocatrice de cadastre urbain, d’usines, de machinerie mécanique.

Mécanique et mobilité

À sa suite, voici Magnelli en quelques assemblages formant une sorte de totem aux couleurs vives ; Domela et ses lamelles de métal courbées, alliages sensuels avec des matières variées, caresses visuelles à l’espace qui les accueille. Claisse agence ses triangles immaculés, éminemment tranchants, imbriqués et dépliés, reconstruisant une allusion à la perspective tandis que Robert Jacobsen combine des structures métalliques en suspension-imbrication. Guy de Lussigny profite de monochromes trompeurs pour y laisser apparaitre ou transparaître des espaces géométriques.

Et, pour mieux retomber au sein d’une civilisation mécanique, voilà un Matta délirant et ironique à propos de l’automobile dont les stratégies marketing ont fait un mythe sexiste, un Warhol et trois Xenakis dont les témoignages attestent que les hommes en ont fait une arme de massacre sur les routes, un César qui réduit l’encombrement urbain en la compressant alors qu’un Stampfli magnifie son design. Et Gianni Bertini insiste sur le contraste entre la fascination interrogative d’un enfant nu et la mécanique motorisée au métal impitoyable. Quant à Philippe Hollevout, il fait du véhicule qu’il a customisé façon BD un élément d’aventures dessinées pour héros planétaire.

Horizons marins et autres

Comme la « Valise expansion » de César, une sculpture charnelle en bois de palmier de Theunissen est annonciatrice de voyage vers d’autres paysages. Pas loin, un superbe panorama d’Olivier Debré, lui aussi plus proche de l’abstraction que de la figuration : sur un fond d’azur monochrome, deux petites écorchures de matières multicolores viennent ébrécher le regard et rappeler que l’immensité océane est bordée de repères terrestres. Piet Moget étale sur toile un Rivage blond, accumulation de nuances pour un lieu dévoré par sa propre luminosité. Une photo de Patrick Messina pixellise la mer de manière moins appuyée que celle pratiquée par un Jean-Pierre Point. La vague d’Anna-Eva Bergman s’avance, tsunami d’appartement, combinant feuille d’argent et peinture à l’huile.

La perception suggérée par Per Barclay bouleverse notre manière de poser les yeux sur un endroit. Sa cabane de la série « Chambres d’huile » se reflète en effet dans ce liquide disposé au sol créant un double étrange où le ciel devient terre, où les choses s’évadent de la pesanteur et du réel habituel. Une pesanteur que Georges Rousse remet en question dans « Grands moulins de Paris » jusqu’au vertige. Un vertige qu’accentue la contre-plongée dans une cour intérieure du quartier populaire de Belsunce à Marseille par Marie Bovo, appel vers une liberté extérieure.

La plage de Jürgen Nefzger témoigne du rapport difficile entre les hommes et sa civilisation de la pollution. Les bords de mer de Thibaut Cuisset jouent avec la clarté sur des nuances colorées, ceux de Kadder Attia ou de Marie-Jésus Diaz se résument à des entassements géométriques de béton, obstacles et protections à comparer avec ce « Grand Nord » chaotique peint par Manessier.

L’eau qu’on distingue entre les colonnades fixées par la caméra de Nadav Kander baigne l’ensemble d’une luminosité douce et froide, presque irréelle. Nils-Udo, lui, s’attache sensuellement au sable, aux oyats et à une floraison pourpre sous un soleil invisible dont on pressent la lumière et la chaleur.

Des questions que pose l’espace sont abordées par quelques-uns. Marie-Noelle Boutin confronte les hommes motorisés aux constructions qui les entourent, les enserrent alors que Shai Kremer tente la pénétration de la lumière dans les ténèbres d’une bâtisse d’entrainement de camp militaire. Loan Nguyen de son côté s’inscrit avec un humour poétique et dérisoire contre les changements climatiques. Stéphane Couturier, lui, se laisse fasciner par le béton colorié de Le Corbusier, transposant l’art construit à l’architecture.

Pour conclure, on pourrait sans doute rassembler quelques œuvres significatives. La photo de Jalal Sepehr montrant un homme, de dos, regardant la mer à côté d’une valise, assis sur des tapis d’Orient qui ne sont volants que dans son imaginaire. Le travail sur verre de Philippe Favier amène à s’inventer une légende plus ou moins dorée selon le jaune du support, parcours graphique fantasque et énigmatique. Les « Îles alphabétiques » d’Étienne Pressager, mutation en lettres d’une représentation géographique propose une lecture de l’espace. Le très beau logogramme de Dotremont, métamorphose de la lettre en chorégraphie calligraphique, pose ici la question essentielle à laquelle s’efforce de répondre cette expo : « Vous voyagez beaucoup ? ».

Michel Voiturier

Au LAAC, Pont Lucien Lefol à Dunkerque jusqu’au 8 mars 2015. Infos : 00 33 (0)328 29 56 00 ou         http://www.musenor.com/Les-Musees/Dunkerque-Lieu-d-Art-et-Action-Contemporaine-LAAC#

Lire : « 20.000 lieux… », Dunkerque, LAAC, 2015, 16 p.

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