Winance, Corbisier, Faezeh : un trio qui investit les apparences

Alain Winance, ‘Sans Titre’ ©Galerie Rasson

Longtemps, Alain Winance pratiqua la gravure. Petit à petit, il est parti vers la peinture. Ses paysages sont devenus de plus en plus picturaux. Les panoramas gravés par Michelle Corbisier s’inscrivent dans un travail pointilliste qui en souligne la matière. La céramique maîtrisée par Faezeh Afchary-Kord, Iranienne installée chez nous, met la fragilité en images fortes.

Paysages d’huile

Contempler les paysages actuels d’Alain Winance, c’est pénétrer dans un espace de méditation. Car cette peinture, de plus en plus au fil des années, s’éloigne du réalisme minutieux des apparences. Plus question désormais de reprendre sur la toile un végétal, un sol, une vague, une dune pour les présenter comme il se pratique, par exemple, en photographie traditionnelle.

Lointain héritier de Turner, Winance s’attache aux atmosphères bien plus qu’aux éléments qui les construisent. Il ne s’intéresse pas aux ingrédients mais au résultat final de leur conjonction. Il est moins que jamais un copiste de la nature, un faiseur de cartes postales, un nostalgique attaché à des souvenirs événementiels.

Il est celui qui vous plonge dans les brumes des crépuscules de l’aube comme du soir. Qui traque de son pinceau des nuages opaques ou plus ou moins translucides. Qui débusque la lumière dans une faille du ciel, qui appréhende sa venue au milieu d’un espace plombé. Qui parvient à saisir le mouvement juste à l’instant où il semble se suspendre au temps de l’infini.

Les tonalités noires et grises, sous-tendues par d’autres coloris apposés en teintes de fond, créent un climat de région maritime gorgé d’humidité mais vibrant autrement sous la luminosité. Celle-ci est intrinsèque à chaque toile, elle n’est pas saisie de l’extérieur, elle appartient véritablement à la façon dont elle est peinte.

C’est finalement la peinture qui s’avère le sujet traité. Tout est pictural avant d’être visuel. C’est dire combien la matière apposée sur le support est essentielle. C’est elle qui amène le regard à s’inventer un paysage puisé dans notre mémoire, nourri de ce que le peintre lui propose et fusionné avec les souvenirs de ce que les yeux ont retenu de voyages, de promenades, de lectures.
Tous ces travaux viennent s’installer comme des fenêtres ouvertes sur les murs d’un salon, d’un bureau, d’une chambre, d’un couloir. Ils possèdent la force des embruns, leur parcellisation en particules aspergeantes. Ils sont les témoins objectifs de notre climat maritime dont ils révèlent l’aspect purement poétique.

Panoramas gravés au sel

Les gravures que signe Michelle Corbisier paraissent avoir été extirpées de leur localisation géographique afin de devenir matière compacte sur papier. La pratique de la gravure au sel leur confère une densité particulière. De même que chez Winance, le paysage est ici devenu plastique.

La luminosité qui s’en dégage met en matériau des pans de territoires. Le rocailleux, le sablonneux, le granuleux, le nuageux prennent des allures de substrat. On y pressent ce qui en constitue la texture. On aurait envie de toucher les surfaces, de comprendre d’où viennent les failles qui les parcourent, de chercher ce qui fait que l’espace prend des allures de trois dimensions.

Le contraste de l’opacité noire avec les grisés dégradés, avec les intervalles demeurés presque blancs crée des espaces assemblés ainsi que des pièces de puzzle que le regard reconstitue. Une sorte de mouvement semble habiter certaines zones, un frémissement de la croute terrestre a l’air de boursoufler le sol et cependant le calme règne sur cet univers que l’homme a déserté.

Faïence pour élégance gracile

Cette sorte de faïence appelée biscuit que pratique Faezeh Afchary-Kord allie élégance et fragilité. La blancheur de la plupart des pièces est éclatante. Lorsqu’elle est associée aux mots – car la céramiste aime inscrire en noir sur leur surface des poèmes rédigés en écriture iranienne – la mise en valeur du texte franchit inexorablement l’espace qui sépare notre œil de l’œuvre exposée.

Sans doute y a-t-il une similarité entre des feuilles de papier et ces céramiques qui affichent leur délicatesse. Cette discrétion n’est pas de la fausse modestie. Elle est affirmation de sa présence, de son pouvoir d’exprimer des messages forts sans hurler, vitupérer, s’agiter. Il s’agit essentiellement de recentrer l’esprit et la vue sur le fondamental, la concision plutôt que la prolixité, l’épuré plutôt que le baroque, l’attention portée au mot plutôt qu’au verbiage.

De quoi nous rappeler qu’un vers poétique en dit davantage que certains discours, que même s’il paraît facile de le gommer sa parole est susceptible de s’imposer. Une seule lettre est capable de nous mener aux plus hautes ou profondes transmissions littéraires. Ainsi se présente un chemin composé des lettres de l’alphabet iranien, jetées pêle-mêle, puis agencées, menant à un écrit chargé de sens.

Ainsi, cette certitude de la nécessité de dire, envers et contre tout, au-delà des différences culturelles, à travers cette poubelle, remplie de déchets de cuissons céramiques, au milieu desquels une voix, celle de l’artiste, répétant en boucle un poème d’Omar Khayam, en alternance de français et d’iranien.

Michel Voiturier

« Winance ici et là » en la galerie Florence Rasson, 13 rue De Rasse à Tournai, jusqu’au 3 avril 2016. Infos : 069 64 14 95 ou www.rassonartgallery.be
« Poésie en porcelaine (Faezeh – Corbisier)» au Palace, Grand-Place à Ath, jusqu’au 30 avril 2016. Infos : 068 26 99 99 ou www.maisonculturelledath.be

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