Vincent Barré : histoire de l’art en transversale

Vue d’ensemble des « Grand ex-voto », 2015-2016 © ADAGP, Paris 2016, F. Kleinefenn

Au musée Matisse, il y a toujours quelque chose qui se passe et qui développe un lien avec le maître des papiers découpés. Les influences décelées ou avouées sont si nombreuses qu’il n’y a, jusqu’à présent, aucun risque de monotonie. La preuve encore, avec Vincent Barré.

À l’origine, Vincent Barré (Vierzon, 1948 ; vit et travaille à Paris, en Normandie, dans le Loiret) a été architecte. Il a choisi de s’exprimer par la sculpture à partir de 1982. Il a pratiqué des techniques variées : assemblage de métal et de bois, découpage de verre ou de plaques d’acier, terre cuite et cire, fonte dite au sable avec de l’alu ou du fer, bronze…

À la période où il change d’orientation, il avait beaucoup voyagé, beaucoup vu et lu. Il n’aborde donc pas la sculpture vierge de toute connaissance. Il avoue avoir subi nombre d’influences, d’avoir été touché par nombre de statues et de créateurs. Il est néanmoins parvenu à élaborer un univers et des réalisations qui témoignent de sa personnalité.

À première vue, les allusions qu’il fait à l’histoire de l’art sont latentes. On les pressent sans toujours parvenir à les préciser. Ce qui le préoccupe avant tout, c’est le corps humain. C’est, du coup, sa référence analogique avec l’arbre, aussi bien formelle que symbolique ou métaphorique.

Sa recherche se base fondamentalement sur des formes simples. Quitte à les assembler de manière complexe. Face à une de ses créations, le regard reçoit un ensemble où les détails précis sont omis, où la réalisation questionne puisque n’étant ni réaliste dans le sens d’une représentation imitative du réel, ni pas davantage d’une abstraction. Tout se passe comme si il s’agissait d’un appel lancé à la mémoire culturelle de chacun.

Ainsi défilent en nos cerveaux des souvenirs de modèles préhistoriques bruts, de totems et de masques primitifs, de statuaire des civilisations assyrienne et gréco-romaine, d’objets à usage de travail ou de culte, de déconstructions avant-gardistes… Karen Wilkin l’écrit : ses « formes énigmatiques sont riches en évocations ».

Un créateur sous influences

Barré soi-même ne dissimule pas les influences qui l’ont nourri. À commencer par les petits torses façonnés par Matisse exposés dans le musée qui lui est dédié ainsi que ce plâtre baptisé ‘Nu de dos » dont on voit les états successifs entre 1909 et 1930, le passage progressif d’une anatomie classique jusqu’à des formes quasi géométriques. De même les papiers découpés d’ ‘Oceania’ qui ont engendré une série d’éléments élégants en caoutchouc.

Certains titres sont explicites des liens entretenus par le sculpteur avec le passé historique, tels Laocoon ou Perséphone, empruntés à la mythologie grecque ; d’autres renvoient au bouddhisme ; quelques-uns à l’architecture et à la géométrie comme ‘métope’ ou ‘mandorle’. Ou cette couronne d’épines qui se réfère au peintre du XVe siècle Jean Fouquet et à une de ses ‘Pieta’. Sans omettre ces nombreux ex-votos en rapport avec des rituels pieux et qui sont prétextes à explorer les volumes du corps humain.

L’approche historique ne doit pas faire oublier que le travail de cet artiste est à regarder aussi en tant que présence au sein d’un espace. Cette insertion dans des lieux joue avec les vides et les pleins, avec l’horizontalité et la verticalité, avec les angles et les courbes, avec la monumentalité ou la discrétion. La coloration et les textures des matières retiennent une attention autre : celle de la vue et celle du toucher.

Ainsi est-il surprenant de voir des colonnes jumelles s’ériger en alternance d’acier et de bois. Ainsi le lisse grès de Sèvres émaillé des ‘Étuis’ s’avère-t-il très différent de la terre chamotée et de son bourgeonnement hérissé de la ‘Série noire’. La rigidité rêche de l’aluminium est étrangère à la souplesse du caoutchouc.

Les monotypes sur papier Japon se présentent en tant que signes graphiques, formes complexes, monochromes noirs imposés au mur blanc. Ils disent une sorte d’alphabet plastique qui ne correspond à aucun langage connu en dehors de celui des sculptures de leur auteur.

Au-delà, il y a les carnets, ceux qui détiennent des esquisses, des croquis, des dessins faits à l’instant, surgis dans l’action même. Ces fruits du spontané sont ceux qui aideront le sculpteur à penser l’acte de travailler la matière, de la préparer à ses trois dimensions. L’intérêt est de participer en différé au processus créatif, d’en être les témoins à posteriori.

Michel Voiturier

« Vincent Barré, sous les grands arbres » au musée départemental Matisse, Palais Fénelon, Place du Commandant Richez à Le Cateau-Cambrésis [F] jusqu’au 18 septembre 2016. Infos : +33(0)3 59 73 38 06 ou http://museematisse.lenord.fr/ ; au Gerhard Marcks Haus, Am Wall 208 à Bremen (Brême) [D]du 2 octobre 2016 au 25 janvier 2017. Infos : +49 421 98 97 52 0 ou http://www.marcks.de/

Catalogue (trilingue) : Richard Deacon, Karen Wilkin, Patrice Deparpe, Arie Hartog, « Vincent Barré », Bremen, Gerhard-Marcks-Stifung, 2016, 88 p.
Dossier pédagogique : Patricia Prévost, Cateau-Cambrésis, Musée Matisse, 30 p.

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