« Babel » Une exposition de Guy Lemaire à la Galerie Fox de Eupen (B) visible jusqu’au 17.11. 2024, ouvert samedi, dimanche et mardi de 14h à 18h.
« La maturité de l’homme, c’est d’avoir retrouvé le sérieux qu’on avait au jeu quand on était enfant. »
Par-delà le bien et le mal. Friedrich Nietzsche.
Dieu de lui-même, comme surpris par la puissance expressive de ses propres œuvres, Guy Lemaire s’octroie d’être simultanément maître de son art et dans un doute perpétuel au point de souffrir vraiment. Il appartient à cette caste rare et tragique des chercheurs d’absolu. Chaque peinture est une pierre posée sur l’autel de l’inatteignable, une confession douloureuse et exaltée de la quête du sens premier dans ce maelström existentiel.
On voit, sous son pinceau parfois méditatif, parfois cruel, parfois moqueur des taches violentes et des éclats qui évoquent moins des images que des prières hurlées mais au fondement muet, adressées à un ciel qu’il imagine vide.
Sa dernière exposition, à l’image du titre de celle-ci témoignage du dictionnaire en désordre qu’est devenu le monde. Une évocation de l’orgueil des hommes et des limites de la condition humaine. La finititude y est figurée, notamment, par une impressionnante Vanité, cryptée en un pointillisme expressionniste qui nous donne à contempler le crâne le plus vivant jamais vu.
À l’instar des mystiques dépossédés de tout, Lemaire nous présente également sa version de l’Arbre de la connaissance, où les lignes craquelées et les formes simples deviennent des cris retenus, des implorations lancées à l’Infini. Comme Léon Bloy voyait dans le moindre détail la trace d’un drame cosmique, Lemaire, dans une vibration de couleurs et de formes, nous révèle la présence d’une touche déliquescente et magnifique. Une touche qui fait littéralement grouiller son groupe de personnage sur la toile.
Toujours à la recherche de l’énergie primale, non dans les ornements superficiels de l’existence mais dans ses zones les plus incontrôlées et surtout les plus libres, Guy a quelque chose du prescient en disgrâce. Cherchant désespérément à exorciser l’angoisse et l’ennui d’un monde horriblement formaté et qui persiste à s’enfoncer dans l’uniformisation. Un formatage que l’artiste combat sans relâche en n’étant jamais le même, poussant sa liberté en brisant le code de l’harmonie et du fil conducteur stylistique. Ainsi, au sein de « Babel » l’abstrait côtoie le dessin d’enfant, la peinture texturée est la voisine du lavis et le pamphlet pictural dialogue avec des sujets métaphysiques.
Dans certaines œuvres de l’artiste, on sent le poids des éléments comme on sent le poids de la chair ; ses œuvres se présentent comme des peaux, des strates feuilletées, une lente alchimie des formes où une atmosphère de sanctuaire déserté. On songe parfois à ces pierres mystiques du Moyen Âge, à ces effigies que le temps et les éléments ont érodées, dont la surface polie et abîmée parle avec une intensité sourde. Mais là où le Moyen Âge créait des édifices pour contenir le divin, Lemaire creuse, racle, expose : il laisse l’éphémère se déployer, faisant de la dissolution même un acte sacré.
Une exposition aux tripes fumantes éclairée par un spot de lumière divine, immanquable pour les amateurs de viscéral.
Jean-Marc Reichart
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