Tournai, Musée des Beaux-Arts. Entre passé, présent et futur.

"Entour" Installation de Raffaella Crispino. Enclos en brique réalisé au milieu de l'atrium du musée .

L’exposition actuelle du Musée des Beaux-Arts de Tournai rassemble autour de Raffaella Crispino, un ensemble de connexions entre le propos de l’artiste et les œuvres du musée.

Raffaella Crispino a investi le centre de la « tortue », forme architecturale choisie par Horta pour sa conception du musée, avec « Entour » une installation végétale entourée d’un mur. Ce mur de briques fait référence au système d’enclosure né en Angleterre à partir du 16ième siècle consistant à délimiter les terrains et créer des propriétés. Jusqu’à cette époque les terres étaient en effet un bien collectif. Le recours à l’enclosure aura pour conséquence de défavoriser les couches les plus pauvres de la société.

En antagonisme à ce phénomène de domination des riches, le film « Il mutuo Appoggio » (l’Entraide) de l’artiste, est présenté dans une des ailes ou plutôt dans une des pattes de la « Tortue-Musée ». Il aborde la théorie de Piotr Kropotkine (1842-1921) via de courts monologues d’une série de jeunes filles apparaissant dans un environnement végétal qu’elles racontent, en caressant des doigts et de longs regards extatiques diverses feuilles, plantes et graines. Ce contemporain de Darwin, préférait à la thèse « la loi du plus fort », la croyance en l’évolution des espèces grâce à un comportement inné de solidarité reliant tous les êtres vivants des règnes animal, végétal et humain dans un besoin de (sur)vie collective. L’ambiance du film au climat préraphaelite fait écho au sublime romantique présent dans les œuvres de la collection du musée.

Le film de Raffaella Crispino aborde aussi en parallèle du mur ovale et fermé de l’installation  « Entour » l’impact des privatisations terriennes sur les femmes guérisseuses cultivant leurs plantes médicinales. Ces femmes se rebellant contre ce début de système capitaliste furent progressivement taxées de marginales car non soumises aux nouvelles règles en vigueur. Cela aboutit à la chasse aux sorcières décrite notamment par l’historienne et militante Silvia Federici. La forme en amande de l’œuvre centrale fait songer à la forme vulvaire où s’inscrit le christ dans certains tympans d’églises romanes comme la basilique Sainte-Marie-Madeleine de Vézelay. Mandorle, passage à la vie de toute création ? Amandier, associé à l’idée de vie nouvelle ? Ou symbole de la connaissance véritable ?

La forme allongée de l’œuvre « Entour » fait aussi songer à un bateau et renvoie à toutes ces plantes qui ont voyagé par terre et mers pour arriver dans nos contrées. L’installation abrite d’ailleurs non seulement des espèces végétales mais une banque de semences conservées dans un congélateur. Intitulée « A ouvrir dans 30, 50 , 100 ans », cette conservation visant la sauvegarde de graines à long, voire très long terme met en aplomb la courte durée de vie humaine face au développement des écosystèmes naturels. Par terre et par mers ont aussi voyagé des œuvres d’art comme l’immense toile « L’Abdication de Charles Quint » de Louis Gallait qui a fait le tour d’Europe par chemins de fer au 19ième siècle. Ce tableau monumental trônant dans une des salles du musée des Beaux-Arts de Tournai se déplaça enroulée sur un grand cylindre de bois. Autre voyage, celui des grains de riz cachés dans les tresses de ces africaines vendues comme esclaves. Symbole à la fois de résistance et de survie, ces coiffures ont été filmées par Rafaella Crispino. Cette dernière, amoureuse d’histoires de plantes et de leurs improbables destinées a aussi réalisé et exposé de grandes « phytotipies », sur panneau textile. Pour ces empreintes végétales, l’artiste a sélectionné des spécimens de graines qui se sont mixées avec nos plantes indigènes lorsqu’elles ont débarqué sur nos terres après diverses péripéties dont vous pouvez découvrir la source en allant du côté de Tournai.

Outre cette exposition temporaire, il est à rappeler que l’architecture de ce musée fut conçue par Victor Horta qui soignait le moindre détail de ses créations même des éléments habituellement non investis comme ici les clenches de porte en forme de pattes de tortue. Le musée des Beaux-Arts de Tournai est en soi un témoignage de la vision proche de la nature chère à Horta. Dans de nombreuses civilisations la tortue représente la Terre-Mère. Ce symbole est doublé chez Horta par la présence d’une carapace verrière. Ce centre lumineux a d’ailleurs été choisi par Raffaella Crispino pour y déployer son installation végétale. A noter que cette même lumière altère et dégrade malheureusement les œuvres de la collection. Un important chantier va par ailleurs débuter fin 2023 sous la direction de l’Atelier d’architecture Pierre Hebbelinck, pour rénover l’ensemble du musée en gardant l’esprit d’ouverture à la lumière insufflé par Horta. Dans sa nouvelle version, le musée dédiera sa partie centrale verrée à un espace public, comme un jardin urbain ouvert vers la ville. A suivre…

Judith Kazmierczack

Open Field

>18/09/2022 au Musée des Beaux-Arts de Tournai

Dans le cadre du Festival Europalia Trains@Tracks

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