Sous le titre The Waste Land (La Terre Vaine) du poète T.S. Eliot, la galerie Nadine Feront réunit des oeuvres de six artistes belges et français autour des thèmes de la vie et de la mort.
Comme une prémonition, l’exposition –inaugurée à la veille des attentats de Paris- s’ouvre sur l’oeuvre organique “Vivant-mort” de Jérôme Poloczek. Sur un présentoir sont posées deux pommes de terres à peine identifiables. Petites, d’aspect délicat, dû à un stade de germination plus qu’ avancé. Devant chacune d’elle, une étiquette de présentation avec les mots “vivant” et “mort” en français, chinois, anglais. “Je suis fasciné par la transformation du vivant, et défend un art minimal et humble, dans la lignée de l’arte povera, pointe l’artiste. Il y a aussi une volonté d’aller vers des objets idiots, et le ready-made. La pomme de terre renvoie à mon enfance: petit, j’allais en chercher au garage, certaines étaient en germe et ça me dégoûtait”. Celles présentées ici ont germé six mois. En résidence à la galerie, Jérôme Poloczek y propose également une performance participative autour d’un “objet” dans le jardin jusqu’au 20 décembre, toujours autour de la matière vivante. Chacun est invité à en observer l’évolution et à en discuter avec l’artiste, qui durant un mois écrira le fruit de ces échanges.
D’abord mitigé par cette seconde proposition “très violente” –en regard de l’objet, qui n’est dévoilé que lors de la rencontre-, Hadelin Feront, curateur de la galerie, a invité cinq autres artistes, dont les oeuvres entrent en résonance avec celle-ci et le principe de transformation de la matière. De façons singulières. Les “feuillets” de l’artiste street Geneviève Bachmann, soit des fragments de dessins destinés à l’espace urbain, sont transposés dans la galerie, et renvoient à la plasticité du dessin devenu matière mouvante, vivante et transformable. Léa Belooussovitch prend également le papier pour matériau d’appui de son installation “Executed offenders” (Délinquants éxécutés). Les portraits imprimés sur des toiles qui évoquent des linceuls sont posés au sol. Au mur sont typographiées les paroles de ces condamnés, avant la mort. De son côté, Loïc Pantaly réunit dans ses dessins et aquarelles, l’imagination et la machine dans un système unique, qui reflète l’extrême complexité du processus mental, sa surabondance et in fine une propension à tourner en lui-même et à s’éteindre.
Destins friables
Le thème de la mémoire traverse plusieurs œuvres. Celles de Justine Bougerol en particulier, faites de paysages intérieurs et oniriques, et de matières comme la végétation, la terre, le sable ou le feu, qui jouent sur les espaces vides et pleins, la fermeture ou l’ouverture au monde. L’artiste propose ici une installation autour d’un espace familier, le feu ouvert.
Jimmy Ruf lui, questionne la lente et inéluctable disparition du souvenir via une succession d’étranges miroirs, au silence et au calme apparents, invoquant l’esprit du Memento mori. Plus loin, l’artiste aborde l’Histoire par la vague déferlante d’images et des peurs qu’elle fait naître, au travers d’ archives personnelles et d’images trouvées, qui soulignent encore l’incontrôlabilité du destin de chacun.
Les oeuvres sélectionnées sont “de taille petite ou raisonnable, mais avec une certaine pesanteur, poursuit le curateur. L’idée est de développer une réflexion sur des thèmes lourds avec une certaine légèreté, de la respiration dans l’espace créé. Le titre, tiré d’un long poème de T.S. Eliot de 1922, parle du désespoir de la guerre et du vide humain d’une génération oblitérée. Près d’un siècle plus tard, ce texte reste innovant et très actuel. Les espaces temps et lieux ne sont pas nommés, mais il y est fait référence à l’empire britannique qui se fragmente et à la multiculturalité. Une réalité que les autorités ont toujours beaucoup de mal à intégrer, quand on voit aujourd’hui le sort réservé aux réfugiés”.
Catherine Callico
The Waste Land, jusqu’au 12/12 à la galerie Nadine Feront à Bruxelles, www.nadineferont.com
Poster un Commentaire