Rendre visible pour ceux qui n’ont pas coutume de voir

Henno 02 : Avant d’un car sans pare-brise et deux personnes assises au sol devant
Raven & Michael, Slab City, USA, 2023 © Laura Henno courtesy Galerie Nathalie Obadia Paris-Bruxelles.

Outil qui conserve, médium qui transmet, vision qui fixe à jamais. La photo n’est pas que réservoir à souvenirs. Elle révèle. Elle témoigne ou accuse. Elle est pièce à conviction.

Henno : survivre en « Outremonde »

Loin du « rêve américain », il existe des territoires hors tout. Des territoires de solitude, de rejet, de refuge où il ne fait pas nécessairement bon vivre mais où il est néanmoins possible de se poser. Laura Henno (Croix, 1976), formée à la Cambre et au Fresnoy, s’est intéressée à des marginaux relégués dans un coin perdu des Etats-Unis, aride, ardu, limite hostile.

En plein désert californien à végétation chétive, l’urbanisme est composé de véhicules abandonnés, motor-home cabossé, car déserté de touristes, caravanes caduques à carrosserie fichée sur le rocailleux, bagnoles aux vitres lézardées, façades ouvertes aux vents. Les repères y sont des pneus en goguette, des fauteuils éventrés, des amas rocheux. Quelque part, plus ou moins excentrée, une église aux apparences presque protégées, miraculeusement (ou symboliquement ?) blanche.

C’est le précaire à vocation durable. Les êtres qui vivent, vivotent, survivent là, ont des allures de vivants par défaut. Certains s’amusent avec des jouets incongrus comme des serpents. D’autres lisent, se nourrissent de littérature de hasard pour rêves à rapiécer. Un couple jeune et son bambin semblent davantage perdus d’être là. Les gosses sont identiques à partout. Spontanés, fragiles,  grimaçants pour peut-être un peu rire. Des gamins attendent quoi ou qui sait quoi. Un vieillard aux allures de prédicateur rancunier semble prendre une poubelle pour autel. Les femmes ont gardé, en apparence, de protéger la leur.

Aucune commisération dans les clichés couleurs choisis par Henno. Une sorte de tendresse pour ces délaissés. Un regard qui constate, ni n’accuse ni ne méprise. Un questionnement plutôt qui s’adresse à nous, privilégiés. Impuissants par inertie. Plus résignés que tous ceux-là qui persistent à vivre.

Lauréats de « Photographie ouverte »

Moisson d’abondance du côté de la 19e édition du concours « Photographie ouverte ». Plus de 300  participants et une variété de démarches. Sélection de quelques nominés et primés.

Mystère, étrangeté chez Charlotte Mariën. Pour cela, préfère le nocturne au diurne, l’apesanteur à la gravitation, le lunaire au solaire. Résultat en noir et blanc, des lieux et des personnages à insérer dans des nouvelles de Jean Ray ou de Thomas Owen. Aurélien Goubau s’est rendu à Mourmansk, région polaire où la nuit règne longtemps dans l’année. Il a surpris endroits et autochtones en couleurs dans des atmosphères forcément crépusculaires. D’où des ambiances un peu décalées pour des citoyens parfois mieux mis en lumière par le bleuté des écrans de téléphones et d’ordinateurs que par le ciel.

De Charlotte Mariën, une photo de la série « Obscurances »

Un quotidien de restaurant ordinaire est le sujet de Pascal Sgro. Simplicité des lieux, des gens, des mets : saisie au vif d’un moment comme retiré du monde extérieur. Une sorte d’intimité publique paradoxale. Du journalier aussi chez Roxi Pop. Êtres, choses, gestes familiers parce que de famille. Souvent en plan rapproché qui donne accès au proche et aux proches. Chez Natalie Malisse la même cellule close qu’est un petit clan homme-femme-enfants. En noir et blanc, l’atmosphère tendue, l’ambiance de non-dit, de caché car ici tout est dissimulé ou réfugié dans le symbolique. Du côté de l’Artique, Catherine Lemblé tente de montrer combien est fragile la position existentielle des femmes dans un univers quasi réservé aux mâles.

Simen K. Lambrecht centre son travail sur la mémoire conservée de son enfance et de ses relations avec sa grand-mère. Ici encore prime l’intime dont le noir et blanc souligne une nostalgie qu’avive la reproduction de quelques lettres conservées. Le parti pris documentaire du duo Pauline Vanden Neste & Tom Lyon vise à visualiser le rapport des citoyens et de l’espace urbain. Willi Filz met en confrontation des images des ruines d’Alep dévasté par la guerre et des portraits de jeunes ayant exprimé leur désir d’exister désormais.

Se pencher sur une pratique ludique et y déceler ce qui la marque depuis qu’elle est devenue jeu mercantile à enjeux financiers destructeurs : la colombophilie. Lucas Castel alterne envols groupés, rassemblement dense des oiseaux et connivence entre homme et pigeon. Annick Donkers a cherché à traduire l’atmosphère palpable qui entoure des personnes persuadées de l’existence d’extra-terrestres, à la fois reportage documentaire et transmission de l’irréel qu’elles ressentent. Kayin Luys prend plaisir à rapprocher fiction et réalité en demandant à des individus de reconstituer certaines scènes vécues tout en cherchant à reproduire de quelle façon sont artificiellement agencés les clichés avant leur mise à disposition du grand public par les medias.

Des éléments archivés se laissent percevoir comme des peintures d’abstraction géométrique sous l’objectif de Tim Bruggeman . Tandis que des fragments mobiliers se présentent chez Pierre Carette se profilent comme des toiles d’abstraction gestuelle.

Michel Voiturier

Au Musée de la photographi e, 11 avenue Paul Pastur à Mont-sur-Marchienne (Charleroi) jusqu’au 29 septembre 2024. Infos : +32 (0)71 4358 10 ou www.museephoto.be

Catalogue : Christelle Rousseau « Photographie ouverte 19e prix national »,Charleroi, Musée de la Photographie, 2024, 116p.

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