
in FluxNews 96, interview de Raoul Vaneigem par Michel Voiturier
Michel Voiturier: « Notre existence est un labyrinthe », quel serait le fil d’Ariane grâce auquel il serait possible d’en retrouver l’ouverture ?
Dire que « le fil d’Ariane est celui de l’amour de la vie et de la vie amoureuse » restera une formule vide tant que l’on ne comprendra pas que l’entraide est aujourd’hui le réflexe viscéral sans lequel le progrès de l’être humain se heurte au principe de prédation. La prédation est elle aussi un instinct naturel mais, dénuée de créativité et privée de la conscience qui l’émancipera de son animalité, elle travaille principalement à la destruction de notre espèce. On en a aujourd’hui la preuve sous les yeux.
Michel Voiturier: Quels changements de société sont-ils envisageables après l’avènement des ordinateurs quantiques ?
Bien avant la grande vogue médiatique de l’intelligence artificielle, j’ai rappelé une évidence qui depuis l’eugénisme des Spartiates et de quelques biologistes allemands au 19eme siècle ne manquera pas de se vérifier : jamais on a réussi à greffer du mécanique sur du vivant. Les insurrections de la vie quotidienne que l’on voit fleurir partout dans le monde n’ont ni chefs, ni meneurs autoproclamés, ni organisation externe. C’est le plus souvent un prétexte futile qui les met en branle. Elles montrent que ce qui les motive authentiquement est de combattre pour une vie libre et naturelle.
Michel Voiturier: Quels obstacles envisager d’éradiquer pour qu’une loi sur l’euthanasie soit adoptée universellement ?
Sans sous-estimer l’importance de l’euthanasie comme droit de choisir sa mort, je préférerais que tout soit mis en oeuvre pour privilégier la vie et éradiquer l’économie de Profit qui la ruine. Il me semble qu’il vaut mieux laisser à la vie le choix de décider de sa fin plutôt que de laisser à la mort les moyens d’intervenir pour y mettre fin. Autrement dit, de faire primer la perspective de vie sur la perspective de mort (qui se fonde sur la prédation.)
Michel Voiturier: Si on prend comme postulat que les concepts abstraits de « liberté-égalité-fraternité » se sont démontrés comme impossibles à atteindre et qu’on remplace les deux derniers par les générateurs d’actions concrètes que sont « équité » et « solidarité », par quoi remplacer le premier ?
Je me méfie de cette pensée coupée du vivant qu’est l’intellectualité. Elle est le produit de la division du travail que le Pouvoir hiérarchisé a implantee dans le corps individuel et dans le corps social. Je me méfie de toute abstraction. Je mise sur l’intelligence sensible que l’individu en quête d’autonomie découvre lorsqu’il est confronté à un choix entre ses pulsions de vie et leur répression par les nécessités de survivre. J ai résumé dans Acratie et autogestion un ensemble de réflexions menées depuis des décennies sur la constitution et la multiplication de petites collectivités fondant sur les ruines du vieux monde et du délabrement de ses Etats une civilisation nouvelle, libéree du travail, du sacrifice, de l’inégalité, de la culpabilité, de la fascination de la mort.
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