Quatuor de notre temps en quatre mouvements

L'ironique retable de Marius Martinot © MV.FN

Quatuor particulièrement hétéroclite donc composite mais surtout panaché. Tant par la diversité des matières, par la variété des pratiques et par les rapports avec l’histoire de l’art. Chaque démarche est affirmée comme originale, suggestive, émoustillante. L’ensemble des créations de chacun est accompagné d’une présentation sous vitrine de diverses expérimentations permettant de percevoir un aperçu du processus créatif des boursiers du Tamat 2025.

Andante. Lauriane Belin (1994). Prix du Hainaut 2022, détentrice d’une imagination sans bornes cultivée dans les ateliers de Laurence Dervaux aux Beaux-Arts de Tournai, cette créatrice a déjà accouché naguère d’un « Centre des Recherches infinies » au Mill de La Louvière. Elle invite ici dans un espace habité par une sorte de pastiche de notre besoin actuel de classer, rassembler des informations, tisser des liens et des rapports entre des disciplines diversifiées.

Il s’agit d’un « Centre de Documentation ambigu(ë) » mis à la disposition de chaque visiteur pour l’utiliser selon les directives d’une brève vidéo, à l’instar de ces hypermarchés qui glissent dans certains de leurs rayons un petit baratin audiovisuel  afin d’inciter bricoleur ou ménagère à se laisser tenter par un outil, appareil ou produit.

Tout est ici concentré avec une sorte de clin d’œil complice qui incite à se prendre au jeu. Basé sur un vocabulaire constitué de mots liés aux champs lexical et sémantique du vocable « textile », consultable sur rolodex, il invite les visiteurs à se balader à travers des indices littéraires réels, inventés, sérieux, farfelus, précis, imaginaires, érudits, fantasmatiques… L’ensemble, environnement constitué de ce répertoire, de livres classés, de dessins, de crayons, de petits papiers …, permet de créer des images, des textes, des échanges, des idées.

Adagio. Notre temps est aussi celui des déchets, des rejets de notre surconsommation. Voilà de quoi intéresser Joao Freitas (1989) qui propose une production minimaliste où l’objet, essentiellement toile ou tissu, est installé dans un état situé entre usure et disparition. En fait, quelque chose de brut qui a déjà subi les détériorations que son usage produit ; quelque chose dont la destinée semble être le rebut. Apparentée à la pratique des « reday made » de Duchamp, cette démarche s’en différencie dans la mesure où des interventions de l’artiste façonnent autrement la matière de base.

Selon les cas, l’œuvre est soit un élément isolé dont la trivialité ou la modestie est essentiellement placée en espace muséal, soit elle se développe en réitération à la manière de certaines musiques répétitives, soit elle se voit adjoindre des éléments étrangers tels, par exemple, des tambours à broder métalliques laissant ironiquement supposer une potentielle métamorphose en objet décoratif.

Largo. La présence du visage est apparue assez tôt dans l’histoire de l’art. C’est une façon de conserver l’image d’une personne autant que d’un personnage qu’il soit mythique ou historique. Son avatar récent par l’usage de la reconnaissance faciale en est l’aboutissement administratif et judiciaire.  Marius Martinot (1997) part du fameux suaire de Turin supposé révéler l’empreinte du visage véritable du Christ. Il s’agit ici encore d’une réflexion créative sur la dualité présence/absence qui, en l’occurrence, nourrit la notion même de culte.

Un voile en tarlatane accueille une figure, un paysage  ou les filtre. Le regard doit pratiquer l’effort d’apercevoir, distinguer, voire imaginer. Ce qui constitue des approches diversifiées selon la lisibilité du motif. D’où une sorte de concrétisation du processus d’effacement qui s’effectue dans la mémoire de chaque personne, du vieillissement que le temps inflige à une création historiquement lointaine dans la durée et nécessite, par exemple, une restauration.

La démarche la plus ultime est d’agir de façon à ce que la disparition volontaire soit présentée en tant qu‘œuvre. Ici, ce sera une impertinente parodie de retable qui ne propose au visiteur du musée que le verso des œuvres qui le composent. A l’inverse, il arrive que Martinot procède a contrario. Ainsi ce petit rectangle de contreplaqué dont la matière est du bois brut, sous l’action de l’artiste, laisse transparaître, derrière l’usure, une sorte de fragile silhouette paysagère.  Ailleurs, c’est une mantille suspendue en attente du faciès qui se glisserait derrière. Sur un socle, une masse agglomérée  de polyester et de cire exprime ce qui reste d’une anonyme « Ruine ».

Allégro. L’attention portée aux arts premiers, née avec le colonialisme, conjointe avec la coutume liée pour des autochtones d’entretenir des pratiques de terroir, tend à conserver un patrimoine, immatériel ou non, universellement reconnu. Venue d’Amérique du Sud, Maria José Murillo (1989) a eu l’occasion de confronter sa pratique d’un art artisanal péruvien avec celle du tissage et en particulier de la tapisserie en nos contrées du vieux continent. Elle se situe par conséquent à cette intersection fréquente dans l’histoire de l’art de la rencontre entre traditions régionales et recherches esthétiques en quête d’innovation.

Des œuvres, ainsi que des accessoires comme des ceintures, ont une apparence visuelle qui se réfère aux motifs animaliers ou géométriques communément utilisés dans les Andes. Ils sont tissé cette fois avec les matériaux contemporains que sont corde industrielle, sacs de plastique, caoutchouc tous confrontés avec l’exigüité des métiers à tisser traditionnels.   

Michel Voiturier

Exposition au Tamat, place Reine Astrid à Tournai jusqu’au2 mars 2025 pour les boursiers, jusqu’au 30 mars pour le Centre de Documentation  ambigu(ë). Infos : +32(0) 69 23 42 85 ou www.tamat.be

Laurence Belin: https://laurianebelin.be ; (podcast) : https://soundcloud.com/lauriane-belin-984643361/aller-trop-vite? ou si=95f3069e914b4afaa8909a1af191fa1e&utm_source=clipboard&utm_medium=text&utm_campaign=social_sharing

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