Prix du Hainaut 2014 : à quoi sert l’art ?

Objets de prisonniers (Emmanuel Van der Auwera)

Concours annuel destiné à de jeunes créateurs, le Prix du Hainaut rassemble des artistes de moins de 35 ans. Cette année onze candidats ont été sélectionnés et exposés aux Maison culturelle et Maison des Géant d’Ath. Le prix est revenu à Loïc Desroeux.

L’art lui-même, et l’artiste qui le pratique, comme sujet de réflexion, tels se présentent en majorité les travaux réunis cette année. Loïc Desroeux (1986, Tournai), le primé 2014, est sorti de l’Académie des Beaux-Arts de sa ville natale. Il a réalisé un travail de copie du réel, illusion du vrai en une sorte de trompe-l’œil minutieux. En effet, il a pris comme thème les récentes dispositions légales concernant le statut des artistes et a reproduit en dessin noir sur blanc les pages du Moniteur publiant les articles de cette législation. Il a pratiqué de même avec une lettre de l’Onem sur l’exclusion des chômeurs et son propre acte de décès. Ces faux en imprimerie établissent en quelque sorte la constatation ironique de la disparition annoncée des créateurs de ce pays.

Chez Ginger Dorigo (1989, Montigny-le-Tilleul), le travail pictural prend la forme d’un questionnement relatif à la durée. Elle se sert d’écailles de peinture tombées d’un tableau pour composer des assemblages abstraits qui redonnent vie à cette matière de résidus. Elle associe également de la toile écrue à des fragments plus ou moins abîmés de tableaux existants. Une espèce de couturage à gros points fait songer à une blessure hâtivement soignée en attendant une restauration plus délicate.

Romina Remo (1982, Namur) associe aussi le temps à son travail. Au moyen d’épingles, elle fait surgir des mots ou des sculptures. L’objet banalement quotidien y devient matière d’œuvre d’art. Florence Dendooven (1991, Mons) pastiche les porcelaines à l’ancienne. C’est pour leur donner un sens autre que celui d’être associée à la nourriture cuisinée : elles rappellent des événements tragiques, images dont se nourrit la presse. De même son herbier, finement dessiné sur rouleau déroulé biodégradable pour papier toilette, transforme celui-ci en travail artistique, usage pour lequel il n’est pas précisément destiné tout en soulignant qu’une œuvre peut s’avérer éphémère.

Guiseppe Corvo (1986, La Louvière), revient vers le figuratif mais non pour se contenter du réalisme. Ses lieux et ses personnages s’intègrent dans une luminosité floue qui les déplace vers un autre monde, qui les apparente plutôt au souvenir estompé ou à la trame d’un rêve qu’à la rudesse du réel.
Cynthia Godart (1988, La Louvière) s’attache à montrer l’invisible. Sa vidéo filme les déambulations d’un personnage affublé d’un miroir rond en lieu et place de son visage. Elle propose au visiteur de déambuler avec le même masque. Elle a, par ailleurs, dans le jardin de la Maison des Géants, imprimé en pleine pelouse l’empreinte gigantesque d’un être colosse disparu ou caché on ne sait où.

Emmanuel Van der Auwera (1982, Bruxelles) a monté un film qui raconte la violence. Il y a volonté de choquer à travers cet assemblage de séquences hétéroclites destinées à faire croire à une scène supposée d’autant plus insoutenable qu’on ne la voit pas. Cela s’écroule dès le moment où l’action supposée hors champ est montrée mais de manière bricolée. L’idée vise à détruire les illusions que l’envahissement du monde par les images suscite en chaque spectateur. L’ambiguïté de ce genre de démarche réside dans le fait que tout est agencé pour démontrer, comme dans les narrations du vieux cinéma à thèse.
Par ailleurs, en un autre lieu, il agence un assemblage impeccablement blanc. Il est composé d’objets divers, anonymes, impersonnels qui prennent sens, en leur figement immaculé, lorsqu’on sait qu’il s’agit de ce qui est permis à un condamné d’emporter dans la cellule où il expiera la faute dont il est entaché.

Anaïs Staelens (1990, Mons) s’intéresse à l’architecture. Ses maquettes de maisons, de quartiers ont pour objectif de montrer la fragilité de l’habitat mais aussi de sa possession matérielle soumise aussi bien à l’usure du temps, aux catastrophes terrestres ou célestes qu’à l’endettement qui risque d’entraîner sa dépossession. D’où la double dérision de ses réparations hasardeuses au fil d’or.

Sophie Schraen (1989, Tournai) produit une vidéo dans laquelle une sorte d’œil divin regarde une main d’où s’écoule du sang. Outre le rappel des crucifixions fréquentes en histoire de l’art occidental, elle semble rassembler deux solitudes incompatibles, tout comme ses photos d’oreiller, dans leur étrange nudité noir et blanc, disent des abandons ou des isolements froidement constatés.

Sébastien Lacomblez (1983, Lobbes) et Sébastien Bizet (1983, La Louvière) représentent le collectif « Entreprise d‘Optimisation du Réel ». La pièce qu’ils présentent se réfère à une théorie et une pratique qui requièrent une mise en situation autre que celle de l’expo. Elle est, par conséquent, peu évidente hors de son contexte. Quant à l’autre collectif, VOID (terme informatique signifiant ‘vide’), composé d’Arnaud Eeckhout (1987, Charleroi) et Mauro Vitturini (1985, Rome), il visualise au plafond d’une verrière l’onde sonore captée dans les salles de la Maison des Géants lorsqu’il n’y a aucun visiteur. L’invisible et l’imperceptible s’en trouvent dès lors matérialisés.

Michel Voiturier

Prix du Hainaut 2014 à Ath au Palace, Grand-Place et à la Maison des Géants, 18 rue de Pintamont jusqu’au 8 novembre. Infos : www.artsplastiqueshainaut.tumblr.com ou www.maison.des.geants.be ou www.mcath.be  

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