Prix de Tournai 2023 : nouveaux espaces

Juliette Vanwaterloo, “La banque d’un monde qui brûle” ©FN.MV

Grâce à la rénovation de la Maison de la Culture, la sélection du Prix annuel de la ville s’est installée dans un lieu ouvert sur l’environnement extérieur, propice à la lumière naturelle et assez spacieux pour permettre de voir certaines œuvres avec le recul nécessaire afin de les percevoir selon toutes leurs dimensions.

À partir de la représentation

Dès l’entrée, le visiteur est averti qu’il sera invité à regarder des travaux combinant recherche plastique et perception aiguisée du vivant. Le 1er prix attribué à Julia Renaudot l’emmène vers une installation de tissus légers colorés appartenant à un monde de brumes environnantes qui rendent l’espace fluide. Une longue toile étalée sur le sol y mène. Elle indique un chemin emprisonnant la luminosité qui l’habite comme si la terre s’était imprégnée des tonalités automnales. Comme si la météo des saisons avaient l’apanage de colorier le temps qui passe.

Coup de cœur du jury, Juliette Vanwaterloo a opté pour un travail textile métissé (patchwork, broderie, organza, acrylique, tuftage…) et résolument engagé. Ses tapisseries réalistes d’un nouveau genre s’inspirent de photographies montrant soit un distributeur de billets de banque, soit une façade urbaine délabrée typique, soit une scène d’affrontement dans une ZAD à Calais. Toutes témoignent d’« un monde qui brûle » ; elles arborent des tags, des impacts de balles ou de coups violents ou bien s’adjoignent un grillage barrière.

De la violence, en voici encore avec les étals de boucherie signés Laura Dauchet. Cette viande présentée dans des tonalités de rouges agressifs rappelle avec le punch de leur réalisme exacerbé à quel point elle est devenue controverse sur une planète où l’écologie commence à être entendue par la force des situations déplorables de la planète.

En contraste, voici le « Jardin du bonheur » de Giuseppe Arnone. Sa tapisserie et ses sculptures en étoffes se parent de coloris pastel. Le ludique et l’érotique s’y conjuguent. Et la mise en espace conduit à se souvenir d’objets de crèches ou de jardin d’enfant, endroits où le scolaire est d’abord lié au jeu.  On retrouve cela dans « Tiepido » de Milena et Roberto Atzori. Ici, à l’évidence, la sensualité des éléments en tissu agencés, parfois d’aspect quasi organique aussi bien fluide que carné, s’aventure vers des mondes davantage sexués.

Sous les traces de gouges laissées dans le bois du support dont la surface porte traces de brulage, Robin Dervaux permet d’entrevoir des lieux défigurés. Le passage déchaîné de la flamme soustrait en partie le réel au regard. Il lui attribue ce double pouvoir qui est de révéler et de soustraire, de magnifier ou de détruire. Les personnages qui hantent les toiles de Gwendoline Haüsermann sortent de la simple figuration pour s’intégrer dans l’environnement. L’aspect pictural accentuent une apparence quasi mimétique entre décor et personnes.

Trois photographies de Donatienne Martens montrent un monde en noir et blanc. Elles présentent un pan de nature où cohabitent le végétal et l’aquatique dans une organisation spatiale un peu désordonnée, que le paysage soit brut ou que l’homme y ait apposé la géométrie d’une infrastructure. De l’image, chacun y portera sa perception, celle que l’imaginaire lui suggérera, peut-être l’idée que cela pourrait survenir au cours d’un rêve teinté d’incertitude.

Les clichés de Pierre Moreau sont en couleurs. Eux aussi contiennent une perception du monde. Les paysages saisis sont habités. Des humains y arpentent l’espace sous des lumières différentes. Ici des silhouettes, qui pourraient être des musiciens, se déplacent dans une dimension intermédiaire entre des flaques aussi bien terrestres que célestes ; là, à proximité d’une brume nébuleuse, une foule vacancière piétine une plage avant sans doute de disparaître. Par contre, sur les géométries rectangulaires de Yosserian Geairon, c’est l’intrusion de l’image du visiteur amené à se percevoir en reflet, celui-ci devenant l’éphémère d’une présence. C’est ce qui mène à quitter le domaine de la représentation avant de basculer vers celui de la réflexion à propos de l’image dans l’image.

Un art en quête de réflexion

Avec Laurence Belin, prix jeune artiste, nous allons du côté de la réflexion davantage que de la représentation. Chaque œuvre s’adresse au visiteur en laissant un appel collaboratif qui aiderait à la compléter. Sa vidéo interroge à travers une métaphore à propos de l’objectif d’une vie. Où allons-nous quand l’horizon vers lequel nous nous dirigeons s’éloigne au fur et à mesure que nous avançons ? L’art devient ici vecteur de l’interaction entre artiste et visiteur par le biais d’un appel à collaboration, une démarche inscrite dans ces courants idéologiques actuels qui tentent d’éradiquer la consommation au profit de la coopération.

Le travail de Grégoire Vigneron passe par le numérique. Il s’agit de concevoir un programme qui permette de fabriquer des objets en papier ou carton qui soient assemblables sans colle ni autre matériau supplémentaire. La production a pour résultat des formes abstraites très géométriques. Une sorte de perfection formelle aboutie et sans doute reproductible à l’infini selon besoin.

Une partie des éléments créés en porcelaine blanche par Olivier Shaw rejoint ce que propose depuis des années Laurence Dervaux : une vénération attentive à des éléments corporels rendus intemporels, indépendants, inutilitaires. Pour eux, autant que pour d’autres objets, le passage du réel à sa transformation donne à celle-ci un statut de présence insolite. Le réalisme minutieux des apparences fige les sculptures dans une blancheur éclatante. Nous les percevons selon une distanciation par rapport à la familiarité que nous entretenons d’habitude avec eux.

Charlotte Bricaut utilise une autre technique céramique grâce à laquelle elle emprisonne dans la terre cuite des évocations végétales. La série est baptisée « Les absentes ». Comme les morts que nous avons connus sont une présence en creux dans notre mémoire, c’est l’empreinte de la plante qu’il nous est donné de voir.

Les pièces façonnées par Mateo Villain sont nanties d’une haute symbolique ajoutée. Liées aux souvenirs d’enfants de mineurs italiens immigrés chez nous, elles disent la précarité vitale et la joie de petits plaisirs quotidiens simples. Leur aspect rappelle clairement de quelle époque historique elles viennent avec leur couleur noir gaillette. L’anecdote de la ‘boîte à pain’ paternelle dont elles sont issues évoque une condition sociale précaire et ramène vers des situations économiques désastreuses. Quant à son « Bougeoir dysfonctionnel », il met en interrogation, avec humour, l’art lorsqu’il s’efforce de concilier à n’importe quel prix esthétique et usage.

Michel Voiturier

            Dans le cadre des Arts dans la Ville, Exposition des sélectionnés au Prix artistique annuel de Tournai, jusqu’au 4 novembre 2023 en la Maison de la Culture. Infos : +32(0)69 25 30 80 ou www.maisonculturetournai@.com

Publication : Michel Michiels,Vincent Népate, Pierre Loze, Isabelle Bielecki, «Pierre Moreau :  Rétrospective – Œuvres récentes », Bruxelles, Maison de l’Image, 2020, 162p. (fr – nl)

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