
Mêmes et Autres murmures martelés
La galerie Bernard Bouche et la librairie Métamorphoses présentent conjointement l’œuvre photographique et picturale de l’artiste peintre Pol Pierart du 18 septembre au 18 octobre 2025 à Paris. Le choix rétrospectif détermine cette double présentation qui permet d’apprécier, selon la spécificité des lieux d’exposition, une peinture qui demeure confidentielle en France et qu’il importe d’aviser.
La galerie Bernard Bouche montre la peinture de Pol Pierart depuis 2002, pour un accueil qui ne manque jamais de piquer la curiosité esthétique de l’écosystème artistique parisien. Aussi, sommes-nous en droit de penser que l’actuelle association des espaces, entre la librairie et la galerie, puisse présenter à nouveau et de manière amplifiée, non seulement l’œuvre peinte, mais aussi une production de photographies qui complète ce que l’artiste écrit et déploie en peinture.
Les photographies montrent diverses scénographies d’aphorismes, alors que les peintures constituent une recherche scripturale d’un champ récurrent de mots. C’est le passage de la locution au vocable qui distingue la recherche exigeante que mène Pol Pierart depuis 30 ans, et c’est peut être ce qui le distingue de figures tutélaires auxquelles la comparaison est aisée, en songeant, aux mots entrecoupés de Pablo Picasso, aux dénominations paradoxales ou erronées de René Magritte, aux inscriptions éloquentes de Cy Towmbly ou encore, aux écritures métaphoriques de Walter Swennen. Chez Pol Pierart, la phrase dans la photographie reste politique alors que le mot dans sa peinture déplie et rétracte, selon les formats, une dimension existentielle, philosophique que nous ressentons dans la structure même des lettres qui le composent.

Les avant-gardes des années 60 bouleverseront durablement la conception de la pratique artistique en mixant les disciplines du cinéma, de la peinture, de la littérature et de la poésie. Cette perméabilité deviendra effective parmi les formes d’expression alors émergeantes, comme le montre, par exemple, le film de Marcel Broodthaers, La pluie (projet pour un texte), en 1969, où le fait d’écrire, conjugue celui de filmer à celui de la performance. Dans ce très court métrage en noir et blanc, tourné en 16 mm, le sujet et sa représentation s’estompent au bénéfice de la subjectivité de l’observateur, qui devient partie prenante de l’intention d’art, comme expérience nouvelle.1 Ainsi, la pluie battante associée au flux de l’écriture rend dérisoire la figure de l’artiste démiurge en faveur de valeurs avant-gardistes, politiques et libertaires que le regardeur déterminera plus ou moins.

C’est en 1897 que Stéphane Mallarmé publiera le poème typographique nommé Un coup de dés jamais n’abolira le hasard.2La mise en page organise la partition de la lecture, dotant les locutions et les mots de leur matérialité d’impression. La spatialité de cette versification libre et dénuée de ponctuation invite le liseur à construire le poème de manière singulière et non directive. D’une autre façon, les divagations poétiques dans les romans d’André Breton, comme Nadja ou bien L’amour fou, relèvent de cette quête du libre arbitre. Quand l’auteur emprunte au corps du texte des bribes de phrases pour servir de légendes aux images, il use volontiers de l’équivoque pour ouvrir le champ des significations au croisement de l’interprétation entre ce qui est lu et vu.
La filiation des choix esthétiques reste indicielle, et ce qui advient et apparaît comme déterminant ne déclare rien qui soit linéaire. Quand Pol Pierart déclare : « J’ai fait les beaux-arts, puis j’ai eu envie de faire tout autre chose, j’ai fait de l’art. »3, nous comprenons que l’importance de cette énonciation, ne se trouve pas tant dans l’étude du précédent que dans le projet que cette formulation vise. Cette citation de l’artiste signifie : qu’elle est drôle, qu’elle est logique tant elle est paradoxale, et qu’ici se trouverait une clé de compréhension du ressort créatif de Pol Pierart. L’artiste représente des mots à la fois scandés et murmurés. Sa peinture bien qu’éloquente s’affilie à un art pauvre. Même si l’espace du grand format sert au mieux son expression, il est question d’y suggérer un champ lexical qui développe des thèmes existentialistes, dont la prudence, la tempérance, la vitalité et le désenchantement dévisagent l’ordre intime de nos valeurs et de nos convictions. De fait, sa peinture évoquerait l’écriture d’un monde (le sien en vis-à-vis du nôtre), depuis le prisme de l’expression verbale, composée de lapsus, de fragilités, d’agilités, d’un humour correctif et rassurant. Il y a chez lui, le goût de l’oxymore et d’une communication implicite qui lui fait écrire un jeu de peintre.

L’art de Pol Pierart est une économie du mot et du peindre qui nourrit un monologue qui interpelle. Son aventure au long cours augure du temps qui passe au bénéfice d’une plastique et d’un vocabulaire qui résument un art de la digression et du correctif. De fait, son art est un trait particulier, et un système de notation qui permet à l’amateur de peinture de déconstruire et de réarticuler, à sa guise, les paliers de lecture que l’artiste commet. Le fond conceptuel comme le fond pictural relèvent d’une ironie propre à Pol Pierart. Les supports effilochés, badigeonnés et additionnés des mots triturés de peintures acquièrent, par une lenteur de travail, une lumière qui inquiète l’ensemble. Certaines propositions sont tannées comme des peaux marquées. Elles présentent de réels moments de grâce en ce qu’elles unissent une qualité de percept, une musicalité sourde et percussive, un mot murmuré et martelé.
Jeanpascal Février
- Marcel Broodthaers, La Pluie (projet pour un texte), film 16mm noir et blanc silencieux,
- Stéphane Mallarmé, Poème, Un coup de dés jamais n’abolira le hasard, Editions Gallimard, juillet 1914, Paris, reproduit en fac-similé en août 2014 par la maison Gallimard.
- Pol Pierart, citation entendue dans le contexte de la présentation d’une exposition
de peintures et de photographies au théâtre de Namur, intitulée, Noir, optimiste et jubilatoire, juin-juillet 2020.
_Galerie Bernard Bouche
123 rue vieille du temple 75003 Paris
_Librairie Métamorphoses
17 rue Jacob 75006 Paris
18 septembre – 18 octobre 2025
Pol Pierart est né en 1955 à Liège, où il a fait ses études
à l’Académie Royale des Beaux-Arts.
Son œuvre est présente dans de nombreuses collections publiques et privées,
principalement en Belgique.
En 2024-25, une rétrospective de son travail photographique
a eu lieu au Musée de la photographie de Charleroi.
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