Marianne Van Hirtum (St-Servais, 1928 ; Paris, 1988) a vécu son enfance du côté de l’hôpital psychiatrique Beau Vallon où son père était médecin-chef, avant de rejoindre Paris et l’entourage artistique d’André Breton. Elle résume son existence par ces mots : « Ma vie, qu’est-elle ? Je n’en sais rien, mais sans doute est-elle semblable aux cris de la chouette, à la croissance du palmier sauvage, à la pluie qui tombe les soirs d’été, au vent, à la neige, quelquefois – oui, aussi, de terribles fois – aux typhons, aux maelströms, aux éruptions des volcans. »
Son travail s’ouvre sur deux démarches complémentaires : l’accumulation dentellière frontale et le dépouillement géométrique coloré. Elle avoue avoir beaucoup été influencée par la pratique surréaliste de l’écriture automatique. « L’automatisme, écrit-elle, serait en quelque sorte une façon aveugle de s’en référer à l’inspiration et aux sources de l’inconscient en lui laissant – expression si jolie – ‘carte blanche’ » La plus grande partie de ses dessins en noir et blanc semblent appartenir à cette catégorie. Surtout ceux qui se présentent sous l’aspect d’un assemblage d’éléments graphiques juxtaposés à la verticale.
Leur grande richesse formelle, leur foisonnement en éléments allusifs, répétitifs qu’on imaginerait bien en tant que motifs susceptibles d’être tantôt broderie, tantôt mosaïque, appartiennent à une sorte de baroque volubile. La superposition crée une écriture globale où la sonorité des mots est remplacée par la densité plus ou moins épaisse de minuscules points à l’encre de Chine, de la blancheur du silence jusqu’à l’obscurité du noir total. La plupart du temps, Marianne Van Hirtum n’intitule pas ses œuvres. Elle laisse ainsi aux visiteurs tout loisir d’y voir ce que leur imagination, titillée par ses inventions plastiques, leur suggère.
L’ensemble produit par ses dessins donne parfois l’impression d’un mouvement semblable à celui d’un vent soufflant en tourbillon. Son passage abandonne derrière lui des bribes de paysage, d’objets, de présences assez fréquemment posées sur deux brefs éléments ressemblant à deux pieds supportant un être fantomatique hybride. Celui-ci suggère une créature monstrueuse, agencée par fragments acoquinés, un peu à la manière dont sont conçus les mots valises. De quoi évoquer des êtres assimilables aux fantasmagories dessinées à la fin du Moyen-âge et au début de la Renaissance par les Européens imaginant la faune des contrées alors encore inexplorées de notre planète.
Elles s’intégreraient aisément dans le patrimoine du légendaire de l’inconscient collectif, celui où restent vivaces des rituels primitifs encore pratiqués, celui où ils réapparaissent intégrés à des commémorations périodiques folkloriques populaires du genre des géants de certains cortèges. On retrouvera cette ambiance étrange à travers les sculptures rassemblées en fin d’exposition où s’accumulent des totems, des figurines, des animaux empaillés, étalage d’ex-votos païens.
D’autres créatures dessinées sont hérissées ; elles affirment des allures effrayantes, agressives, cauchemardesques dans la mesure où elles affichent de multiples angles aigus. C’est moins perceptible lorsqu’il s’agit de ‘portraits’. D’abord grâce à leur apparence anatomique plus proche du réel figuratif ; ensuite parce que des courbes, des sinuosités viennent signifier davantage de sensualité.
Les portraits en pied se présentent de face tandis que leur faciès s’inscrit en profil comme dans l’art égyptien antique. Les éléments de détail sont figuratifs mais leur assemblage semble totalement onirique par décalage visuel volontaire qui métamorphose, par exemple, ce qui pourrait se décoder comme un foulard prenant forme d’oiseaux aux becs entrouverts. Ceux dotés de pieds supposés les maintenir dressés ont la jambe qui s’enfonce sous une jupe, cambrée dans des talons hauts démesurés, suggérant une chair érotisée. La série des ‘Enterrements’ n’est pas dépourvue d’un humour noir sarcastique. Il s’agit d’une bestiole dont le corps évoque la masse d’un cercueil. L’intérieur se laisse deviner ou carrément voir. Il s ‘y passe des actes insolites comme au sein de quelque caverne infernale.
Les dessins des ‘Amants’ se colorent de tons poétiques, quasi transparents. Il y a là une joliesse inattendue qui contraste avec une sorte d’ironie sarcastique. La coloration se retrouve dans des huiles dont les aplats rendent les apparences plus lisses. Les éléments dispersés à la surface sont presque géométriques, épurés. Ils évoquent vaguement un univers assez cousin des assemblages magrittiens.
Quelques travaux de peinture sur bois ont des allures animales, comme une baleine. Ils attestent de la variété de la production de Marianne Van Hirtum (qui parfois signait ou se faisait appeler ‘Irrtum’, traduction qui l’identifie avec une ‘erreur’, indice, parmi d’autres, d’une nature mentale particulièrement tourmentée. Sans doute est-ce pour cela que sa création s’apparente bien avec certaines tendances de l’art brut. Elle est aussi en phase avec les trouvailles verbales surréalistes que l’on retrouve à travers des textes publiés, des manuscrits inédits et d’autres témoignages. Comme cette citation qui convient à l’ensemble de cette exposition-découverte : « Chaque soir, un grand animal de laine monté sur ses béquilles / Frappe à ma porte avec les lettres de la nuit ».
Michel Voiturier
« Le surréalisme est une grande peau d’ours » au Delta, avenue Golenvaux à Namur jusqu’au 26 janvier 2025. Infos : www.ledelta.be
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