Joyeux les joyaux de Corneille

Devant des illustrations pour Pinocchio (1973) © Isabelle Arthuis

On ne redira jamais assez combien le groupe CoBrA (1948-1951), si éphémère qu’il fut, n’a pas été seulement un surgeon du surréalisme. Il a surtout constitué un bouillonnant ferment créatif  indépendant. Il suffit de citer quelques noms pour que son rôle dans l’histoire de l’art moderne apparaisse : Alechensky, Appel, Atlan, Bury, Dotremont, Jorn, Lindström, Ubac auxquels on ajoutera Hugo Claus.

Moins connu mais tout aussi prolifique que les autres membres : le liégeois Guillaume Corneille (1922-2010). Le plus exultant par sa polychromie, le plus pétri par le miracle d’être un vivant. C‘est lui qui écrivait : « Dans le jardin de mon enfance, l’été n’en finissait pas de durer ». Christophe Veys, lui, justifie cette expo en affirmant que c’est « Un artiste qui nous semble avoir signé un pacte avec la joie ». De son côté, Cédric Pernot  ajoutera « qu’on entre dans son œuvre comme dans un dictionnaire de tous les possibles ».

Hommage à Fédérico Garcia Lorca (sérigraphie de 1986 d’après une gouache de 1948) © Limelight Laboratory Bruxelles 

Certes, les réalisations datant de la guerre 40-45 ont un fond tragique. Mais dès la fin du conflit mondial, les thèmes, Corneille les  oriente vers la nature, agitant un cocktail de flore, de faune, de météorologie, de charnalité sensuelle. Il s’empare avec une extrême boulimie des couleurs. Il les affirme franchement.

Le vocabulaire des titres de ses estampes ou peintures est révélateur. Le substantif été vient en tête. Il en est d’autres comme avril ou printemps ou enchantement, ainsi que aurore ou soleil auxquels s’ajoute paradis. Les adjectifs ne sont pas en reste : tropical, joyeux. Quant aux verbes, voici exulter. Ce sont les bons et beaux côtés de l’existence qui s’étalent, se transmettent, se partagent au regard.

Corneille n’abandonne pas le figuratif. Il tente sans cesse des manières autres de le pratiquer pour qu’il soit créativité. En recherche de retrouver une spontanéité proche de l’enfance, il laisse à ses compositions la possibilité d’être naïves, évocatrices plutôt que descriptives. Faisant fi de la perspective, il pose son univers à plat sur le support. Il affine, simplifie ou accumule. Sans cesse le voilà entre émondage et grouillement. Certaines images ont des accointances avec le patchwork, voire le puzzle.  

Corneille ne se sent pas bien dans l’ascétisme. Les éléments qu’il agence et colorie semblent nés du soleil, de la lumière. Le plus souvent, on les dirait issus de contes imbibés de fantaisie et de fantastique. La preuve en est qu’il a aimé aussi illustrer certains contes célèbres comme celui de Pinocchio.

Inventif dans la forme, il l’est aussi dans l’expérimentation de matières neuves. Ainsi pratiquera-t-il la terragraphie en mêlant du sable à sa peinture et en la rendant tactilement perceptible. Son univers palpite de sensations généreuses, de gourmandises saisies à l’instantané, de communion avec la chaleur de l’air comme avec celle de la chair. L’époque est celle des Trente Glorieuses, les horreurs de la guerre ne sont certes pas oubliées mais reléguées dans la mémoire collective. Inconsciemment la partie de la planète qui est la nôtre s’étourdit sans trop se poser de questions.

On trouvera quand même dans la production des dernières décennies de sa vie une ambiance plus sombre. Les motifs restent similaires. Ils sont cependant moins vifs. C’est, par exemple, l’hommage à Van Gogh ou celui à Asger Jorn ainsi que des portraits du milieu des années 70, où les fonds sont gris si pas quasi noirs. La densité colorée semble moins transparente, filtrant la luminosité à la manière des lunettes antisolaires.

De l’ensemble de son œuvre, on résumera qu’elle est à l’image du nom qu’il porta. On le perçoit tel un oiseau (animal très présent dans ses créations) qui aime regarder le monde d’en haut, ne pas rester en place, être perpétuellement en action.

Michel Voiturier

« Corneille au fil de la joie », au musée de la Gravure et de l’image imprimée, rue des Amours à La Louvière jusqu’au 3 novembre 2024. Infos : +32(0)64 27 87 27 ou www.centredelagravure.be

Catalogue trilingue :  Christophe Veys, Cédric Pernot, « Corneille au fil de la joie », La Louvière,  Fondation Guillaume Corneille/Musée de la gravure, La Louvière, 2024, 176p. (19,90€)

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