JE NE SAIS PAS POURQUOI MAIS JE LE FAIS

Avec son allure de dandy, son costume trois pièces caractéristique et sa coiffure gominée, Messieurs Delmotte parcourt la ville comme il pourrait parcourir la vie. En léger décalage. L’exposition Bonjour chez vous, actuellement à la New Space, reflète cette impression constante. Dense, elle retrace de multiples facettes de l’artiste qui, comme des morceaux de vie, s’entremêlent pour proposer un regard « rétro-prospectif » sur son œuvre.

Bonjour chez vous, le titre de l’exposition, constitue une première clé permettant d’aborder la pratique de Messieurs Delmotte. Réplique culte de la série « The Prisoner », cette simple phrase réitérée à longueur d’épisodes souligne l’existence paradoxale des habitants du Village, conformés à participer aux intérêts du bien commun. La répétition de ces interpellations, somme toute banales, amorce un décalage insidieux, désœuvrant et parfois malaisant pour le spectateur. Petit à petit, l’individu s’efface et disparait au profit d’une certaine collectivité. Cette dissonance par rapport à la réalité est un des éléments que l’exposition et l’œuvre de Messieurs Delmotte mettent en évidence. Elle est provoquée notamment par la démultiplication de l’image de l’artiste – le « je » devient alors « ils », même dans l’adoption de son nom. L’impression est confirmée par les photographies présentées dans l’espace : vingt-et-unes sur le millier qu’il a réalisé (et qu’il continue de capter) y sont posées sur chevalet, telles des peintures anciennes. Les images performatives ainsi disposées encombrent la déambulation et contraignent le corps. Elles soulignent la particularité de la posture de l’artiste, qui se dessine sur trente années de création. Par les poses adoptées, tantôt drôles, tantôt interpellantes, elles questionnent notre rapport à la réalité et à une certaine conformité avec laquelle Messieurs Delmotte joue.

Ces images « fixes » acquièrent leur pleine dimension en regard de la sélection de vidéos issues d’une période couvrant les années 90’ et 2000. La pratique de la performance et du happening s’amplifie au vu du foisonnement des vidéos qui se succèdent. De manière presque étourdissante, nous assistons à un flux constant d’images en mouvement, de courtes durées, desquelles on ne saurait détourner le regard. Il s’en dégage quelque chose de l’ordre de l’instantané, comme si les gestes de l’artiste relevaient d’un besoin irrépressible d’actions immédiates. L’ici et maintenant s’y matérialise avec une simplicité parfois désarmante. Pas de décors grandiloquents, ni de mises en scène outrancières. Peu d’accessoires et de paroles qui forcent l’attention sur chaque acte de l’artiste. Cette économie de moyens amplifie le non-sens de ses actions et, plus généralement, l’absurdité de certaines situations. Le spectre de Buster Keaton plane au-dessus du décalage burlesque distillé dans les actes performatifs de Messieurs Delmotte. Tout comme celui d’une longue lignée d’artistes qui ont pratiqué le geste – parfois considéré comme inutile ou idiot, voire médiocre – pour nous forcer, par leur absurdité, à nous interroger sur ce qui nous entoure. Tous proposent à leur manière de prendre le contrepied de la norme et de la conformité.

Cette filiation s’immisce aussi dans Born to Lose, installation constituée de 200 peintures trouvées ou chinées par l’artiste puis signées et datées de sa main. Tel un dj, Messieurs Delmotte remixe ces œuvres dans l’espace, les exposant tantôt à l’endroit tantôt à l’envers. Si la référence à Marcel Duchamp et à Fontaine est évidente, l’installation nous confronte aussi au mauvais goût et au kitsch de certaines toiles ainsi érigées au rang d’« œuvres d’art ». En filigrane se dessinent plusieurs questionnements posés par l’ensemble : celui de ce que nous considérons comme conforme ou non à certains goûts artistiques dominants mais aussi celui du statut de l’artiste et de sa place au sein du marché de l’art.

Avec une touche d’humour propre à lui, Messieurs Delmotte donne un léger coup de pied dans une fourmilière bien ordonnée, codifiée et normée. L’exposition grouille d’œuvres et d’interventions qui opèrent, par les décalages légers qu’elles enclenchent, un nouveau regard sur la réalité qui nous entoure. Les actions spontanées de l’artiste y sont considérées comme absurdes, emplies de non-sens burlesque. Mais peut-être est-ce avant tout l’absurdité du quotidien qui est ainsi mise en évidence plutôt que les gestes de l’artiste en eux-mêmes.

Céline Eloy

Bonjour chez vous – Messieurs Delmotte

New Space → Rue Vivegnis 234, 4000 Liège

Exposition accessible du jeudi au samedi de 14:00 à 18:00
ou sur rendez-vous via info@space-collection.org

Soyez le premier à commenter

Poster un Commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*


Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.