La collection de Lola Garrido comporte des photos qui s’étalent de la fin du XIXe siècle à la fin du XXe. C’est dire qu’elles couvrent une bonne part de l’histoire de la photographie. Parmi elles quelques-uns des clichés les plus connus qu’on revoit avec plaisir.
La majorité des œuvres sélectionnées sont des portraits. Elles donnent donc un aperçu historiquement intéressant à propos de la façon dont les gens se présentent face à l’objectif ou sont saisies par lui. Il y a la mode à travers vêtements et maquillages ; il y a aussi les manières de se montrer. Le résultat notifie des évolutions multiples des mœurs, qu’il s’agisse de personnalités célèbres ou d’individus anonymes.
Il est évident que même si les images sont le reflet d’un nombre restreint d’êtres, elles contiennent à dose infinitésimale quelque chose de l’histoire du monde. Grâce à cela, sans doute, elles nous touchent et pas seulement au niveau de la mémoire. D’autant que, dans le cas présent, nous avons conscience que la plupart de ceux qui ont été saisis sont morts, qu’ils nous rappellent dès lors notre condition d’éphémères.
Lola Garrido l’écrit dans le catalogue : « Et puisque nous sommes condamnés à aimer ce qui a déjà existé, ce qui fut, simplement parce qu’il n’est plus, nous rassemblons des images. Et ce temps que l’on rassemble, c’est le temps immuable et profond des œuvres d’art – car elles sont un pur passé cristallisé […] ».
Personnages
Tel portrait coloré d’une lady rappelle furieusement que cet art du portrait avait été avant tout l’apanage de la peinture (Edward Steichen). Tel autoportrait de femme métamorphosée en chat plonge dans l’univers des contes fantastiques (Wanda Wulz). Alors qu’une dame assise en un fauteuil, entourée d’œuvres apparemment classiques, dissimule son visage derrière un masque grotesque (Inge Morath).
Parmi les plus connues, voici d’abord le bonheur d’un couple vu dans un rétroviseur (Elliot Erwitt), ou encore cet autre duo amoureux assis en bord de mer en train de contempler l’horizon et qu’on croirait sorti d’un tableau de Hopper (George Hoyningen-Huene), et cette agricultrice figée, affligée devant un champ ou cette émigrante au regard d’inquiétude absolue ou encore ce petit Irlandais en gros plan dont une des mains s’accroche à celle d’un adulte presque invisible (Dorothea Lange). Un jardinier avachi, en apparence écrasé par son travail, pousse le mimétisme à arborer un nez comme un légume (Cindy Sherman).
Un visage est littéralement sculpté par la lumière (Alexander Rodchenko). Un homme a des velléités d’ange avec dans le dos les ailes des pages d’un livre ouvert ; une femme en blanc, flanquée de deux colombes sur les épaules garde son mystère (René Magritte). Un mystère qui frise l’angoisse avec ces duos de chaises sur lesquelles se trouvent deux êtres dont seules les mains apparaissent (Jürgen Klauke).
Les stars s’habillent de gloire ou de désespoir. Carmen dell’Orefice, mannequin et comédienne, joue les sphinx mystérieux (Irving Penn), l’écrivaine Solita Solano se voit surprise presque cassée, un peu comme un pantin désarticulé en attente de sa marionnettiste (Berencice Abott), Jane Rusell s’alanguit sur un sofa léopard qui fait d’elle un félin au repos (Louise Dahl-Wolfe). Et que se passe-t-il dans la tête d’Anouk Aimée inscrite dans l’argentique avec un visage composé pour n’être qu’artifice (William Klein).
Maryline Monroe revient à plusieurs reprises. La voici en douze positions, en appui précaire entre une armoire et un mur (Philippe Halsman). Puis lançant derrière elle un regard et un sourire mutins à ceux mitraillant de flashes la blancheur de son dos dénudé par sa robe de soirée. Cette autre Marylin d’avant sa disparition, aux doigts crispés sur une bouche entrouverte, tient un collier comme on serre un chapelet (Bern Stern).
Gestuelles
Il est des gestes traduisant des états d’âme sans pour autant les révéler. Ainsi cette main caressant l’arrière d’une chevelure bouclée (Lee Miller), cette cigarette approchée de la bouche au bout d’un fume-cigarette (Diane Arbus), ces pieds croisés dont les jambes montent jusqu’aux jarretelles dévoilées par une mousseline troussée, laissant à l’imaginaire de doter ce modèle d’un visage (Horst P. Horst). Une main en très gros plan effleure des lèvres laissant à qui la fixe la liberté de déduire l’état d’esprit de celle qui reste quasiment hors champ (Man Ray).
En robe blanche, Ana Karina, les mains sur les hanches prend un air frondeur sur un fond de foule en vêtements sombres, limite clochards (Frank Horvat). Marlene Dietrich, visage dissimulé par ses cheveux, cherche du doigt un défaut dans un invisible bas (Milton H. Greene) ou paraît caresser de très phalliques ifs (Martin Munkacsi).
Surpris en plein élan, voici un soldat isolé, inconnu comme beaucoup d’autres, sans doute fauché en pleine attaque, témoignage cru des horreurs guerrières (Robert Capa). Il n’a guère eu le temps de se mettre en scène, contrairement à deux fillettes, déguisées, posant avec le sérieux de ceux qui croient en leur personnage lorsqu’il abordent l’imaginaire et que la photographe a baptisées « Paul et Virginie » (Julia Margaret Cameron).
Il est aussi quelques séries développant une thématique. Celle « Women are Beautiful » montre des femmes en situation d’être attirantes parce qu’elles ont une présence dans l’espace, parce qu’elles y disposent leur corps instinctivement ou non, parce que leur figure reflète la perception d’un moment vécu (Garry Winogrand).
Michel Voiturier
« Une histoire de la photographie » jusqu’au 4 octobre au musée Camprédon, 20, rue du Docteur Tallet à l’Isle-sur-la-Sorgue. Infos : 04.90.38.17.41 ou http://islesurlasorgue.fr/campredon-expo.html
Catalogue : Mariel Manrique, Lola Garrido, Roberto Peral, « Una historia portátil de la fotografía, Colección Lola Garrido », Burgos, Cultural Cordon, 220 p.
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