32 photographes et plasticiens réunis au Bozar illustrent l’évolution du portrait photographique européen depuis 1990, période marquée par de grandes mutations: chute du communisme, avènement d’internet, mondialisation, questionnements identitaires.
“Nous vivons à l’époque du portrait. Jamais dans l’histoire la réalisation de ce type d’oeuvres, en particulier sous la forme de selfies, n’a été aussi populaire. Il n’a jamais été non plus aussi facile d’en faire et de les montrer au monde, affirme Frits Gierstberg, commissaire de l’exposition Faces Now. En effet, l’essor d’Internet, des médias sociaux et du smartphone a donné au portrait photographique une impulsion sans précédent.
Le mouvement s’est amorcé vers 1990, dans le sillage de la chute du communisme et du mur de Berlin. L’Europe vit alors de grands changements et, dans un contexte de mondialisation et de migrations, la perception de l’identité personnelle se modifie, en même temps qu’émerge la peur de perdre à la fois celle-ci et les particularités locales. Dès lors, de nouvelles formes de portraits sont explorées. En marge des de stars ou des politiciens, l’homme ordinaire, dans son quotidien et montré comme élément d’une société, d’une culture et d’une histoire, intéresse photographes et plasticiens.
L’identité grand format
Alors que faire éxécuter son portrait a longtemps été l’apanage d’une élite -comme l’illustre l’exposition présentée simultanément au Bozar “Faces Then” axée sur cette pratique lors de la Renaissance-, tout un chacun figure aujourd’hui au centre des tirages. Parfois avec ironie, pour dénoncer certaines réalités. Voire sur grand format, pour creuser un peu plus le décalage. Désormais l’approche se veut plus humaniste. Ainsi Boris Mickailov, dans sa série “Case History”, traite de la pauvreté qui a dévasté l’Ukraine après la chute du communisme. Un couple de sans-abris y est mis en abyme à travers des poses et symboles inspirés de la tradition du portrait peint. Le poisson et le vin que les protagonistes tiennent l’un et l’autre en mains évoquent une scène biblique. De son côté, Adam Panczuk questionne la relation complexe entre l’humain et le sol où il vit à travers une série de portraits réalisés dans la région de son grand-père, dans l’Est de la Pologne. Les villageois prennent la pose avec des objets tirés de la tradition locale. Nikos Markou lui, laisse la parole à ses compatriotes pour raconter leur quotidien depuis la crise en Grèce, dans un montage vidéo.
Le tournant des années 80
L’exposition Faces Now revient également sur une figure emblématique des années 80, le photographe allemand Thomas Ruff, dont la série typologique Porträts a donné une impulsion inédite au genre. Les individus, issus de son entourage proche ou lointain, sont immortalisés d’une façon qui évoque les photos d’identité -de face, sans expression, sous un éclairage basique, en noir et blanc ou en couleur…- et les clichés sont tirés en très grand format.
Plus que les années d’après-guerre et les interventions d’Irving Penn, de Richard Avedon ou de Robert Mapplethorpe, les artistes des années 80 ont réellement renouvelé le genre, alors conçu comme médium réaliste et démocratique, poursuit Frits Gierstberg. Et de citer les Américaines Cindy Sherman et Nan Goldin, dont les points de vue sont différents, peut-être même radicalement opposés: conceptuel chez l’une, personnel chez l’autre. La première s’interroge sur l’authenticité de l’identité: en se photographiant à diverses reprises comme personnage d’un récit fictif, elle a souligné l’élasticité et l’instabilité du concept. Goldin, elle, a portraituré ses proches de façon intime, en s’impliquant émotionnellement dans le cours parfois dramatique de leur vie.
Aujourd’hui, si les styles, les genres et les pratiques se croisent, au profit de formes hybrides du portrait, elles tendent toujours vers un même but: capturer l’essence de l’individu.
Catherine Callico
Faces now. Portraits photographiques européens depuis 1990, jusqu’au 17/05, www.bozar.be
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