Conjuguer l’œil de Fourez à l’ouïe d’Oosterlynck

Séance d'auscultation du son par Baudouin Oosterlynck et Marjorie Van Den Hauwe (c) FN/MV

Éric Fourez et Baudouin Oosterlynck sont en quelque sorte des explorateurs. Le premier ne cesse de sillonner une plage de la mer du Nord pour y photographier des traces et les peindre avec obstination. Le second arpente les brocantes et le hasard des lieux pour y chiner des objets insolites et des instruments musicaux.

« Arrêt 59 » poursuit sa série d’expos en interaction entre plusieurs créateurs (https://fluxnews.be/?p=1338 ). Cette fois, un duo insolite. Le premier duettiste, Éric Fourez, transpose sur toile, avec une minutie d’enlumineur, les moindres rebonds de sol laissés par les vagues sous la lumière du littoral, leurs ombres portées, leurs sinuosités. Et cette fois, il a décidé de jouer avec les variations de la vision selon l’angle de vue adopté et ce autour d’une seule et unique trace déclinée en panoramique, zoom avant ou arrière, approches selon les points cardinaux. Donc aussi, d’une certaine façon, déclinée selon une évolution temporelle alors qu’un objet peint reste habituellement, lui, immuable, figé à jamais sous les coups de pinceau.

Le second, Baudouin Oosterlynck, rassemble, assemble des choses apparemment hétéroclites et les inscrit dans une collection. Il expérimente les bruits que leurs matériaux constitutifs sont capables de produire par percussions, frottements, manipulations, transformations. Il s’essaie à des sonorités différentes à partir du bois, du verre, du métal, de granulés de polystyrène… ; il invente des résonances qui soient musiques.

L’un autant que l’autre se comportent, dirait-on, comme des scientifiques qui observent, testent, tirent des conclusions, recommencent, varient les approches, proposent à autrui le fruit de leurs actions. Les inventions, les découvertes ont toujours été à ce prix, à cette prospection sans cesse reprise malgré les échecs, les à-peu-près, les résultats mitigés. Il en découle des conséquences liées à des lois de la physique ou de la chimie qui relanceront la quête de nouvelles trouvailles.

C’est donc une exposition dans laquelle le visiteur, à son tour, se doit d’être actif. Observer les paysages minimalistes de Fourez aux détails près réclame une attention particulière. Car il n’est guère évident de reconnaître une forme que l’angle de perception va inévitablement déformer quelque peu. Comme dans le populaire ‘jeu des 7 erreurs’ des magazines, pour entrer sans ces paysages, il faut rendre de l’acuité et de la perspicacité à son propre regard.

La réalité que traque le peintre et qu’il restitue dans une grisaille sur fond monochrome blanc n’apparaît jamais d’emblée comme fidèle au sujet choisi. De loin domine l’impression d’une écriture picturale apposée dans l’espace ; de près, le rapport au réel familier se laisse percevoir, apprivoiser. Oui, l’informel se révèle quasi hyperréaliste, d’autant que, à l’instar du Tournaisien, des pratiquants étasuniens de cette tendance esthétique élaboraient leurs toiles à partir de photographies.

Passage de l’œil à l’ouïe

La démarche à accomplir pour Oosterlynck est différente mais similaire. Les objets exposés ont souvent un aspect familier identifiable immédiatement. Une harpe, un archet, des étuis pour instruments de musicaux, une scie à métaux, un stéthoscope, des fioles et tubes en verre, un ressort, des entonnoirs… D’autres semblent mystérieux parce que spécialisés, parce qu’obsolètes comme les mécanomètres, appareils destinés à vérifier la qualité du métal des premières automobiles.

Ces ustensiles divers sont ici détournés de leur usage coutumier. Ils se présentent avec une impeccable finition, ce qui les rend esthétiquement attractifs. Ils sont sollicités en vue d’émettre des sons insolites que les oreilles doivent détecter, auxquels elles doivent s’accoutumer. Ces bruits sont très discernables et font songer à ceux dont usaient les compositeurs de musique concrète des années 1950. À l’ouïe, cette fois, de s’adapter à ces vibrations auxquelles on ne prête, normalement, qu’une médiocre attention.

Si les toiles d’Éric induisent une perception immédiate et globale d’un espace à deux dimensions, les néo-instruments de Baudouin mènent vers une perception gérée par la durée. Pour la peinture, le regard garde la possibilité de revenir autant de fois qu’il le veut sans que l’œuvre se modifie, seule son interprétation peut évoluer. Pour les sculptures (comment les nommer autrement ?) de Baudouin, il est indispensable, de réengendrer le bruit afin de mieux le saisir mais rien ne garantit que sa durée, sa hauteur, son timbre, son intensité demeurent identiques à ceux de la première émission.

Cette démarche rejoint les travaux de musiciens minimalistes tels que La Monte Young, Phil Glass, Steve Reich, Michael Nyman ou des expérimentateurs comme Cage (Oosterlynck, à la manière de ce dernier, utilisa jadis des pianos préparés) ou de certaines musiques traditionnelles orientales, notamment de Bali et d’Inde, ainsi que des compositions religieuses de notre moyen âge.

Voici donc une expo qui s’adresse à l’œil et à l’ouïe. L’un et l’autre sont revendiqués. Le premier pour aiguiser l’attention portée à une image au-delà de l’impression du regard initial. La seconde pour tendre le tympan vers d’imperceptibles trépidations alors qu’on est bombardé de décibels dans l’environnement urbain ou travers les musiques lancées sur les ondes.
Et la dimension spatiale des toiles se charge de connivence avec la sonorité rythmée des métronomes qui scandent les visites. Comme dans les partitions des compositeurs minimalistes, leur bruit subit des décalages subtils puisqu’il est quasi impossible de les régler en simultanéité totale. Dans les deux cas, vision et audition, on est amené à exiger davantage de concentration, davantage d’attention au monde, moins de superficialité, moins de désinvolture.

En somme, ce duo plasticien tourne l’art vers une orientation philosophique : interroger notre biotope afin qu’il induise des réponses à traduire par des comportements renouvelés.

Michel Voiturier

« Par l’œil et par l’oreille » à l’Arrêt 59, rue des Français 59 à Péruwelz jusqu’au 8 novembre 2015. Infos : 32 (0)69 45 42 48 ou http://arret59.be/  ; en la galerie MG art, Rederskaai 16 à Zeebrugge jusqu’au 16 novembre. Infos :  0475/983 999 ou info@mgart.be

1 Comment

  1. Peintre de premier ordre d’une sensibilité très fine et maître dans son art.Il fait vibrer les sentiments et les souvenirs enfouis mais qui viennent et repartent laissant des traces imperceptibles mais réelles au cours de nos vies qui s’écoulent.

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