« CONGO ART WORKS »

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Quand l’esprit se délecte des yeux

 

S’inviter à l’exposition « Congo Art Works » qui se déroule en ce moment au Bozar, et ce jusqu’au 22 janvier 2017, c’est oser franchir une frontière méconnue et pourtant persistante (cette idée d’une création visuelle « populaire » congolaise qui serait née de l’histoire coloniale) ; c’est aussi se risquer à faire tomber les masques (ceux qui affirment que la création ethnique serait plus authentique que la production visuelle – narrative, ou dite « populaire » – congolaise) ; pour découvrir un art qui s’est dessiné depuis des siècles, jusqu’à traverser et subvertir des épisodes (toujours) noirs de l’histoire congolaise (et belge). C’est aussi et surtout s’inviter à décoder aujourd’hui, avec assiduité et sens (par un travail tant historique que culturel) ce que ces peintures contiennent et racontent… Que l’on croie à l’humour, et à la naïveté persistante d’un art qui aurait traversé le plus noir, par la bienveillance et le bon enfant, c’est oublier que derrière la simplicité apparente des tableaux (leurs lignes parfois souples, parfois déliées, parfois élémentaires), leurs dispositions spatiales inaccoutumées (mais (à) quel œil !), leurs sujets typés et reconnaissables au premier regard, se révèlent des formes complexes dans leurs structures tant visuelles que narratives et conceptuelles.

Les œuvres que vous découvrirez dans l’exposition sont profondément liées à la vie quotidienne de leurs auteurs, artistes, et plus largement des Congolais. Ces peintures portent la marque de la mémoire collective. Vie urbaine ou faits historiques, présentés sous forme de narrations visuelles, d’apparentes fables animalières, ou d’affiches, débouchent pour le spectateur sur des formes de réflexions critiques qui éveillent des questions d’ordre politique, religieux ou de morale publique. Ainsi, si les animaux semblent participer avec plus de naïvetés à ces tableaux narratifs, ils incarnent pourtant avec force les situations d’inégalité, de domination, de fatalisme ou de violence irrésolue que ne peuvent passer sous silence les protagonistes congolais. Richesse picturale, inventivité visuelle, sont au service d’une insoumission qui ne se prive pas de constructions et de compositions élaborées, côtoyant l’émerveillement graphique. Ainsi par exemple, ces tableaux de la grande tradition des « Inakale » : un homme, poursuivi par un lion, grimpe à un arbre ; dans l’arbre, il découvre un serpent ; souhaitant s’extraire de l’arbre il regarde l’eau, où un crocodile l’attend. L’expression le dit littéralement, la situation est inextricable. Et dès lors, c’est à la composition de se présenter comme un nœud graphique insoluble mais qui devient aussi un exercice de style pour chacun de ses auteurs. Ces « Inakale » ne présentent-ils pas, en leur corpus, un foisonnement de déclinaisons qui révèlent, à chacune de leurs versions, la perspicacité et la ténacité de leur auteur ? Ils replantent à chaque fois, dans des décors répétés quasiment à l’identique, la fatalité profonde et intime d’un univers impitoyable, et ses ressources naturelles intarissables.

Derrière l’exposition « Congo Art Works » se cache la force d’oser l’indécence de perspectives inversées, et nouvelles ! Elle est le fruit du travail assidu de Bambi Ceuppens, anthropologue et porteuse d’une chaire scientifique au Musée royal d’Afrique centrale, et de l’artiste Sammy Baloji (auteur de nombreuses réalisations portant une réflexion sur le pays, ainsi que sa propre histoire) qui se sont groupés pour assurer le commissariat de l’exposition. Leur note d’intention est claire : « Représenter le pays ne passe plus spécifiquement et exclusivement par l’exposition d’œuvres tribales ». Il y a un regard qu’il faut oser poser, et il passe par l’affirmation de l’ampleur de la création picturale et dessinée. C’est aussi à cette fin que l’exposition regroupe également des images d’archive, des photographies, et des documents qui ouvrent les perspectives, et permettent d’intégrer les productions populaires dans un horizon bien plus vaste que celui de la colonisation, et à partir de là, dans une plus large histoire de l’image. Dès lors, osons affirmer que l’exposition constitue un magnifique instrument « détonateur » incitant à la sauvegarde, la diffusion, la circulation, l’interprétation et la compréhension de ce patrimoine unique…

 

Annabelle Dupret

 

 

« Congo Art Works »

Bozar

Rue Ravenstein 23, 1000 Bruxelles

Jusqu’au 22 janvier 2017.

 

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