Les anciens abattoirs de Mons, métamorphosés en lieu d’exposition sont désormais affectés à la mise en valeur du figuratif. Les œuvres de Michel Jamsin qui, depuis toujours, a pratiqué un art voué à la représentation d’un réel identifiable au premier regard avait donc sa place sur ces cimaises.
Il faudra un jour écrire l’histoire du groupe Maka (1971-1976), essentiellement composé d’anciens élèves des Beaux-Arts de Mons. Il a surgi à un moment où la figuration n’avait pas bonne presse et, sans doute, le caractère plutôt tranché de deux de ses figures de proue a-t-il alors cristallisé une opposition virulente et des prises de positions, de part et d’autre, assez intransigeantes.
Survivant de cette équipée qui ne craignait pas les outrances, Michel Jamsin (1941, Fléron ; vit et travaille à Brugelette) se révèle d’abord coloriste. La septantaine d’œuvres qui s’imposent dans les espaces blancs du musée sont d’abord un hymne à la couleur ; elles sont ensuite la confirmation que l’artiste ne s’est pas cantonné dans un seul genre.
Un réalisme autre
Le choix et la répartition des tableaux n’est pas chronologique. L’accrochage se veut à la fois thématique et révélateur des techniques utilisées par le peintre. Si quelques toiles portent pour la forme l’empreinte indéniable de Gustave Camus, son professeur, le reste de la production s’en démarque et aboutit à la traduction diversifiée d’un univers très personnel, attaché, comme le souligne le titre de l’expo, aux « Frères humains ».
Jamsin flirte le plus souvent du côté du pop et de la figuration narrative. Il ne craint guère de s’approcher d’un certain surréalisme. Son ‘réalisme’ tente, ainsi l‘écrit Michel De Reymaeker, « de passer de l’apparence rétinienne de la réalité à sa portée symbolique, de transcender sa matérialité tangible par sa présence illusoire, et, finalement, de quitter le réel objectif pour l’inscrire dans une fiction qui lui donne sens ».
Les matériaux utilisés explorent des techniques et conditionnent les résultats. L’émail cellulosique, celui même utilisé pour peindre des carrosseries de voitures, permet la brillance, la modulation par glacis. L’acrylique incite à jouer de manière plus artisanale avec la matière, notamment lorsqu’on lui adjoint du ‘latécol’ pour l’épaissir. Car cet artiste aime jouer les (al)chimistes en expérimentant d’insolites mélanges.
Des humains scrutés
Même en groupe, l’homme est seul, face aux autres, à la société, à son destin. D’évidence, le bébé emmailloté ou l’enfant confronté aux interdits qu’on lui impose, le marionnettiste, la femme au guéridon ou au tabouret, le prisonnier derrière des barreaux comme la tête surgissant d’un magma noir, tous expriment l’isolement qui les habite.
Couples, amis, partenaires… sont des quidams déguisés en duos. Quant aux groupes, ils sont rarement dans une harmonie collective. Certains, issus de couvertures de magazines de faits divers, sont englués à l’intérieur d’un drame exacerbé, jusqu’à, quelquefois, rappeler les danses macabres de jadis. L’outrance des expressions de visages et de gestes est une manière de traiter avec un humour sarcastique le travail de certains médias abusant de l’émotionnel afin d’appâter un public. Jamsin y conjugue avec une évidente jubilation son amour de la couleur et celui de la matière picturale susceptible de jouer avec les reliefs, de conférer aux toiles une troisième dimension.
On retrouve une causticité similaire dans la série de grands tableaux consacrés au roman photo. Si les situationnistes ont utilisé des images extraites de publications de ce genre pour les détourner en remplaçant le texte des phylactères par des citations politiques, le peintre, lui, s’y prend autrement. Il agrandit considérablement l’image. Il conserve la phrase mise en exergue du roman pour nous dévoiler la banalité sentimentale de son contenu.
Il accapare les personnages tels que photographiés, saisis dans leurs poses stéréotypées mais il détourne les coloris, leur donnant dès lors une portée emblématique. Il sculpte les visages avec des ombres accentuées comme des maquillages du temps du cinéma muet. D’où une sorte d’intemporalité qui révèle l’arrière-plan idéologique de la publication initiale en magazine.
Les portraits collectifs se réfèrent à ces clichés chers à la presse régionale lorsque les correspondants locaux écument des réunions de famille, d’associations, de clubs sportifs… La composition reprend les regards tournés vers l’objectif, le souci de bien poser au moment d’être provisoirement immortalisé. Criante évocation de la solitude de tous ceux qui cherchent dans l’acte du photographe une espèce de caution à l’insipidité de leur existence dans un monde qui, ordinairement, les ignore.
Ici encore, il y a de quoi s’attarder sur les différentes façons dont le peintre traite les tons, dessine les figures, saisit des mouvements, s’éloigne de la fidèle reproduction pour créer des formes souvent proches du ludique. Souvent, les toiles s’aventurent du côté de ce qu’on a appelé le réalisme magique, celui qui transcende le quotidien au point de transférer le regard vers des mondes proches de l’onirisme.
Ajoutons que, volet autre du travail artistique, les créations sculpturales de Michel Jamsin sont absentes de cette expo. Hormis quelques statues où il a, bien avant Pascal Bernier, utilisé la bande velpeau afin de rendre la fragilité du vivant, de suggérer souffrances et cicatrices. Non sans une certaine ironie.
Michel Voiturier
« Frères humains » aux Anciens Abattoirs de Mons, 17 rue de la Trouille à Mons, jusqu’au 28 août 2016. Infos : +32 (0)65 40 53 25 ou www.abattoirs.mons.be
Catalogue : Xavier Roland, Joan Marti, Laurent Courtens, Michel De Reymaeker, Michel Jamsin, Roland de Bodt, « Frères humains. Peintures 1965-215 », Mons, Pôle muséal, 2016, 152 p.
Oui, Jamsin emballe des objets à la bande Velpeau bien avant Bernier mais c’est sans doute le surréaliste Maurice Henry qui, dès 1936, emballe violons et autres téléphones…